Archives de Tag: littérature jeunesse

Ourse rouge et ours vert de Satoshi Iriyama


« Il était une fois un ours qui adorait le vert. Chaque jour, l’ours vert mangeait des légumes verts et buvait du jus de melon vert. »

L’ours vert habite une maison verte, décorée d’objets verts, au milieu d’une prairie d’une couleur indéfinissable. Non, je plaisante : verte, bien sûr !



Un jour, une nouvelle voisine s’installe en face de chez lui :

Ourse rouge porte bien son nom. Elle est aussi rouge que les fraises qu’elle mange au petit déjeuner et sa maison est entièrement écarlate, de la nappe aux rideaux et du sol au plafond.



Ces deux ours si différents vont-ils réussir à s’accepter ?


Ourse rouge et ours vert s’adresse aux très jeunes lecteurs : l’histoire est simple et les personnages très définis. La rencontre entre les deux ours se fait progressivement, avec délicatesse, tout à fait à l’image des illustrations de Satoshi Iriyama. La forme et le fond se rejoignent ainsi harmonieusement, apportant une touche désuète et un charme épuré à cet album.



Ourse rouge et ours vert encouragent l’ouverture d’esprit, les mélanges, l’acceptation de l’autre avec une belle simplicité, accessible aux enfants dès deux ans.
Mais cette simplicité n’est pas simpliste : le propos intelligent et les illustrations soignées donnent un de ces albums que les enfants réclament encore et encore !

Et ils goûteront chaque fois la surprise qui attend nos deux ours à la fin de cette histoire.

« Un jour, Ourse rouge invita ours vert à dîner. Ils discutèrent pendant des heures sans s’apercevoir que la nuit était tombée »

Ourse rouge et ours vert de Satoshi Iriyama

Aux éditions Tourbillon

Parution en février 2010

AlbumÀ partir de 2 ans



Tout va bien Merlin d’Emmanuelle Houdart

Autour d’un petit garçon nommé Merlin, les monstres-doux s’affairent. La sirène lui donne le biberon, le dragon joue avec ses cubes… Ah, vraiment, Tout va bien Merlin, pas d’inquiétude, on s’occupe de toi !

Tout va bien Merlin
est un très bel album. Le texte est court, tout en rimes, simple à appréhender pour un enfant, dès trois ans. Il aura plaisir à le mémoriser, à le chantonner en tournant seul les pages.

Et les illustrations sont tout simplement incroyables : le travail d’Emmanuelle Houdart est sophistiqué, étrange, captivant… Les couleurs enfantines mettent en valeur des monstres singuliers, aux yeux immenses, aux fesses rebondies, au pelage touffu.



Les vêtements, les chaussures, les attitudes du poussin ou de la licorne propulsent dans un monde hors normes, aussi fantastique qu’esthétique (entre peinture et poésie en images, on peut penser à Botero aussi).



Si le traitement graphique de Tout va bien Merlin est une réussite visuelle, il se double d’un apport significatif particulier : Emmanuelle Houdart utilise des figures de monstres connus (sirène, dragon, diablotin…) mais les présente en introduisant chez eux une part de frayeur doublée d’une part de séduction. Dans ce monde non-binaire, non-simpliste, ce n’est pas tant l’apparence d’un monstre qui est importante, mais son attitude bénéfique…



Tout va bien Merlin est une porte ouverte enrichissante, définitivement hors des sentiers battus,  disponible pour les plus jeunes (ce qui est rare). Un album de haute qualité, donc ! Une vraie petite merveille…

Tout va bien Merlin d’Emmanuelle Houdart
À partir de 3 ans
Aux éditions Thierry Magnier
Parution en novembre 2009
Illustrations sous copyright des éditions Thierry Magnier



La grenouille à grande bouche d’Elodie Nouhen et Francine Vidal

Album à partir de 4 ans
*Illustrations sous copyright des éditions Didier jeunesse*

La grenouille à grande bouche d’Elodie Nouhen et Francine Vidal

« La grenouille à grande bouche
gobe des mouches avec sa grande bouche.
Elle vit dans une mare
sur un nénuphar
qui lui sert de plongeoir.

Mais voilà qu’un soir, elle en a marre.
Des mouches au petit-déjeuner,
des mouches au dîner,
des mouches toute la journée,
elle en a assez ! »

Ainsi commence le voyage de ce petit batracien. Passant d’un paysage à l’autre au rythme d’une petite chanson (« Hopi, Hopa, la voilà qui s’en va »), la grenouille demande aux personnages de ce livre de quoi ils se nourrissent… Et les réponses du tamanoir ou de la girafe, pour ne citer que ces deux là, l’étonnent beaucoup !

Finalement, peu curieuse de tester de nouvelles saveurs (les feuilles des arbres ? « Baahhh ! » Les asticots ? « Ouah ! »), elle décide de rentrer chez elle. Mais « deux yeux » l’attendent ainsi que deux rangées de dents pointues et effrayantes… Comment La grenouille à grande bouche va-t-elle se sortir de là ?…

Voilà une histoire joliment tournée par Elodie Nouhen. Elle met en scène une grenouille un peu simplette qui ne connait pas grand chose au monde qui l’entoure, mais part vaillamment à sa découverte.

La fin et son coup de théâtre montreront que la naïveté de la grenouille n’est pas synonyme de bêtise, car elle saura réagir avec beaucoup de sang froid devant le danger (et son sens de la répartie risquera en plus de provoquer chez les lecteurs un grand éclat de rire !).

rencontre avec le tigre...
Le vocabulaire est soigné et les animaux passés en revue vite épinglés par des adjectifs simples. Gros, grands, doux, bizarres, ils ont tous des caractéristiques bien précises en plus de repas différents.

Le texte en forme de ritournelle permet des effets de voix amusants : donner à la grenouille une articulation outrancière (puisqu’elle a une grande bouche, il faut bien que cela s’entende !) ou au tigre un timbre doux et grave est un plaisir qu’il ne faut pas se refuser.

Le texte est habilement intégré aux illustrations, de manière inventive ! Rien n’est laissé au hasard : les lettres colorées suivent le mouvement, et indiquent une similitude entre deux mots, ou le degré d’écœurement de la grenouille à travers l’écriture de ses cris.

la grenouille à grande bouche et ses empreintes
Et, merveille de plus, le travail d’illustratrice de Francine Vidal est riche de nuances, tons chauds et colorations adroites, en plus des jeux d’empreintes et de tracés qui donnent vie aux sautillements de la grenouille.

En bonus, un clin d’œil apparaît à la relecture :
la montagne ronde si bien dessinée sur laquelle la grenouille grimpe, n’est-ce pas le dos du rhinocéros ? Et la forêt remplie de troncs d’arbres ressemble, en y regardant bien, à une forêt de longues pattes de girafes…

une forêt de pattes de girafes...
Beaucoup de qualités, donc, chez cette Grenouille à grande bouche parue en 2004 chez Didier Jeunesse, ce qui en fait un album incontournable.

Hopi, Hopa, ma chronique finit là !

le voyage de la grenouille à grande bouche

La grenouille à grande bouche d’Elodie Nouhen et Francine Vidal
Aux éditions Didier Jeunesse
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La princesse au petit pois (extra-fin) de Sylvie Chausse et Capucine Mazille

-Album- À partir de 7 ans
Parution en septembre 2009
*Illustrations sous copyright des éditions du Ricochet*

La princesse au petit pois (extra-fin) de Sylvie Chausse et Capucine Mazille
« Il était une fois un roi et une reine qui adoraient Aude, leur fille unique, et l’entouraient de douceur.
Tout, dans le palais, était souple, moelleux, sans aspérités. Les tapis, les murs, les fauteuils… tout était rembourré. Même la baignoire avait été tapissée d’algues douces pour que la princesse ne se fasse pas mal si par malheur elle venait à glisser.
Pas de boutons à ses robes, jugés trop durs ; on les laçait avec des rubans de soie. »

Dans un autre royaume, le prince Louis est tout aussi aimé par ses parents, mais ceux-ci veulent l’endurcir avant tout :

« Pas de jouets, pas de jeux, pas de camarades, car être roi, c’est du sérieux.
Pas un sourire en récompense, et le fouet s’il se trompait. Il portait un simple uniforme de soldat, bien amidonné. »

À partir du conte d’Andersen, Sylvie Chausse imagine une fantaisie qui n’a rien à envier à la magie d’une Belle au Bois Dormant (elle se pique le doigt, du sang coule…), d’un Barbe Bleue (avec les pièces d’un château à explorer) ou d’un Peau d’âne : une princesse qui part à la découverte du monde et doit travailler pour subsister, et un prince, à la recherche de sa promise, la reconnaîtra à un tout petit petit petit détail…

page intérieure

Deux mondes opposés, la douceur et la dureté, doivent se rencontrer et s’unir. Car la douceur seule est insipide : « on ne peut apprécier la douceur que si on reconnait la dureté », se dit le prince Louis. Et la dureté seule, elle, est bien déprimante !

Le texte de Sylvie Chausse entraine l’adhésion du lecteur très naturellement. On est ici dans l’univers du conte, avec les ressorts qui lui sont propres, et la mécanique fonctionne parfaitement.

Hop, sur le matelas !

Les illustrations de Capucine Mazille apportent beaucoup de délicatesse à cet album grand format : les couleurs, souvent dans les tons pastels, mettent en valeur le trait fin
(« extra-fin » !) et la joliesse des personnages.

La princesse au petit pois (extra-fin) en paysanne
Les détails sont très soignés, aussi bien dans le choix de la coloration que dans les arabesques que dessine la chevelure d’Aude, ou les motifs imprimés sur les draps et les costumes.
En y regardant mieux, de petits clins d’œil se cachent sous le trait sûr de Capucine Mazille : d’étranges habitants vivent sous un tas de pommes de terre, une oie montre une face fort mécontente devant le pillage de ses plumes, et certaines bottes ont des yeux et des sourires carnassiers…

Un très bel objet que cette Princesse au petit pois (extra-fin), donc !

les parents de la princesse Aude

La princesse au petit pois (extra-fin) de Sylvie Chausse et Capucine Mazille
Aux éditions du Ricochet
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La vie commence de Stefan Casta

Catégorie Littérature jeunesse -Roman-

 

Pour pré-ados et adolescents

Parution en septembre 2009

 

Stefan Casta« Elle se dirige vers le marchand de journaux et s’arrête devant les gros titres, ceux, par exemple, des journaux du soir tels que l’Aftonbladet et l’Expressen. Elle les observe un bon moment sans comprendre de quoi il s’agit. Elle ouvre la porte et avec son sac elle se glisse parmi les tablettes de chocolat, les sachets de chips et les magazines avec des femmes souriantes sur les couvertures. Ça sent le hot-dog et le café, elle s’aperçoit qu’elle a faim et elle essaie de se rappeler à quand remonte son dernier repas. »

 

Elle, c’est Esmeralda, ou Alice, ou Louise, ou Caroline, selon le jour et la situation. Elle se rend à la ferme des Bertilson mais c’est chez Brigitte l’ancienne cantatrice, Gustavo l’italo-suédois et Victor l’étudiant en philosophie (« la seule discipline où il restait encore des places ») qu’elle s’arrête.

 

Et elle reste avec eux, adoptée par le chien Piccolo, attentive à nourrir les mésanges et les verdiers, parlant aux moutons dont elle s’occupe… mystérieuse.

 

 

On ne sait presque rien d’elle, sinon qu’elle est soumise à de brusques crises pendant lesquelles « ses yeux semblent bloqués » et des bulles de salives se forment à la commissure de ses lèvres.

 

Victor, le narrateur, sait aussi qu’elle est en fuite, et recherchée par les passagers d’une Saab noire :

 

« Je reconnais l’homme et la femme. Les mêmes personnes que la dernière fois. Ils ont des chaussures montantes, des manteaux épais et des écharpes. La femme a un bonnet gris sur la tête. Dans sa main droite, elle tient une serviette avec des papiers importants. Elle a des gants en cuir marron.

Je comprends soudain qu’il y a urgence. C’est une question de secondes. Je me précipite dans le salon et ramasse à la hâte les draps et la couverture de la fille que je fourre dans la penderie. C’est tout ce que j’ai le temps de faire.

On entend frapper à la porte de façon décidée.

 

-Ouvre ! hurle Brigitte.

-OK, je murmure.

-Bonjour, je dis à l’homme et à la femme derrière la porte. On se promène ?

 

J’ignore d’où me viennent ces mots. C’est peut-être la colère qui me donne du courage. La situation a quelque chose de comique mais ce n’est sûrement grâce à nous. »

 

C’est un roman proprement envoûtant qui sort de l’écriture de Stefan Casta (et de la traduction d’Agneta Segol). Bien sûr, la suite des événements et le mystère qui plane sont prenants.

Mais plus captivante encore est cette ambiance, quasi-magnétique et très finement rendue.

 

 

Un coin perdu de Suède au bout d’une route indiquée par la pancarte « Moon »…
La campagne, les soupes du jour de Gustavo, les « veritamente » de Brigitte et le chevreuil aux bois d’or… Ne pas s’y laisser prendre est aussi difficile que de résister au personnage d’Esmeralda Alice Caroline Louise.

 

 

La vie commence de Stefan Casta, aux éditions Thierry Magnier« La fille frappe à la gigantesque porte. On dirait un tout petit oiseau qui donne un coup de bec à un très gros arbre. »…

 

 

 

Le bel avis de Clarabel est à lire ICI.

 

La vie commence de Stefan Casta

Traduit du suédois par Agneta Segol

Aux éditions Thierry Magnier

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Chaude La Planète de Sandrine Dumas Roy et Emmanuelle Houssais

Catégorie Littérature jeunesse -Album-
À partir de 8 ans
Parution en septembre 2009
(illustrations sous copyright des éditions du Ricochet)

Chaude la Planète, aux éditions du Ricochet« De toutes les régions de la planète, s’élève la même plainte :
« Le soleil est trop chaud,
trop près, trop présent,
on ne peut plus respirer,
il ne pleut pas assez… »
Pour comprendre ce qui détraque l’atmosphère, les animaux organisent un congrès. »

Une décision est prise : celle d’envoyer les dauphins recueillir des informations, « Du fleuve Jaune à l’Amazone, de l’Arctique au Pacifique ».

la planète de Chaude La Planète
Les coupables de ce réchauffement climatique sont vite débusqués : ce sont les vaches !

« Elles sont partout ! et si nombreuses !
Elles passent leur vie à brouter,
à ruminer, à péter et à roter. »

Quelle solution adopter ? L’éradication totale des bovins ?… Leur mise à la diète ?…

« Les poissons chirurgiens pensent à leur enlever deux ou trois estomacs : « Si elles ruminaient moins, elles roteraient moins ! ». »

les poissons chirurgiens

Les réduire en vachettes minuscules ?
Le « p’tit marsouin » trouvera la réponse de ce problème « chaud »… Quoique : il n’est pas dit qu’il sera assez rapide…

À vous de vérifier cela en lisant Chaude La Planète, un livre étonnant dans la collection Les albums citoyens.

Étonnant, car à contre-courant du discours communément entendu : pas de dramatisation ici, mais de la fantaisie et de l’humour. Les animaux ont plus d’une idée derrière la tête et certaines sont pour le moins très saugrenues…

Le texte de Sandrine Dumas Roy est didactique avec ses apports autant géographiques que langagiers :

« Chacun y va de son cri :
Certains hurlent, d’autres babillent ; certains barètent, d’autres blatèrent.
Il y a ceux qui gloussent, qui glapissent, qui glougloutent… ceux qui cacabent ou qui craquettent… ceux qui hululent, qui stridulent, qui zinzinulent ou qui tirelirent. Il y a ceux qui roucoulent, qui caracoulent et qui coucoulent… »

tableaux de vaches

Les illustrations inventives d’Emmanuelle Houssais ne sont pas en reste, avec des découpages-collages, des dauphins munis de parachutes, des zèbres en complets-vestons et des cochons à fleurs…

Le tout donne un album qui sensibilise les lecteurs aux problèmes écologiques sans les effrayer ni leur faire subir l’habituel pessimisme.

Chaude La Planète est un album à lire et à relire pour y débusquer tous les clins d’œil cachés à l’intérieur : une vache qui butine une fleur, une autruche en skate-board, une coccinelle sur un grand-bi… et j’en oublie !

kangourou en vol...

N’oubliez pas de passer sur le blog des éditions du Ricochet pour feuilleter les premières pages de l’album en ligne…

Chaude La Planète de Sandrine Dumas Roy et Emmanuelle Houssais
Aux éditions du Ricochet
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Vestine, une légende noire de Virginie Jouannet Roussel

Catégorie Littérature Jeunesse -Roman-
Parution en octobre 2009
À partir de 15 ans

Virginie Jouannet Roussel« Moi je suis alsacienne.
À moitié, on va dire. L’autre moitié englobe une jambe perdue et les trous dans ma mémoire.
Je recompose, forcément.
Les souvenirs se sont effacés en pointillés et l’enfance est tombée dans un trou qui fait tache en plein dans les cauchemars. Alors je recompose pour ne pas qu’il grandisse en aspirant les petits souvenirs qui se trouvent à la périphérie, je brode sur la ligne pointillée avec mes images d’enfance, les lettres de mes frères et les stigmates qui fixent les souvenirs dans ma peau… »

La collection D’une seule voix d’Actes Sud Junior porte bien son nom : dirigée par Jeanne Benameur et Claire David, il s’agit de
« textes d’un seul souffle […] à murmurer à l’oreille d’un ami, à hurler devant son miroir, à partager avec soi et le monde ».

Dans Vestine, une légende noire, la voix qui s’élève porte haut. Les mots transpercent, touchent au cœur, dans ce récit de l’indicible, fluide et fort à la fois.

« Vestine » est celle qui parle ici, sous le prénom français qu’elle a choisi.
Son pays d’origine se situe bien loin de l’Alsace : le Rwanda. Là-bas, dans cette « autre vie », on l’appelait Mukagatare, et elle avait encore ses deux jambes…

Le docteur Bernstein l’aide dans son travail de reconstruction :

« On a commencé la thérapie en 96, quand ils ont retrouvé mon père, là-bas. Le vieil aveugle me réclamait et les cauchemars sont revenus. Je savais ce qui m’attendait si je retournais au pays. Une fois là-bas je ne pourrais plus échapper aux diables noirs ni au bruit des fusils. Tchak-tchak-tchak…
Je reverrais les corps-carcasses, les corps qui éclatent, les corps qui dorment sous un pagne orange. Ma sœur sans nom, les bébés rouges… »

Vestine évoque sa vie en France, aux côtés d’une mère d’accueil exigeante :

« « C’est pour ton bien, Vestine », alors j’ai appris : haricot, électricité, avion, manger, sortir la poubelle, robinet, docteur, deux fois deux, prothèse, bonjour madame, maman-papa-Mona-Sandra-Anna, solfège, blanc-noir, oui-oui à l’école, Cendrillon, monsieur Emile Zola, le département de la Loire, la production de charbon, le triangle isocèle, mais ça ne suffisait jamais […] »

Chaque mot appelant le suivant, c’est l’histoire de cette enfance qui surgit, ses jeux de fillette lorsqu’elle se fait « petite mère » portant son « bébé bananier » :

« au milieu du bouquet de palmes, le fruit de l’arbre ressemblait à un gros maïs langé dans ses feuilles, il suffisait de le détacher en tournant, comme on dévisse une bouteille. Des bébés bananiers qu’on baptisait Nibaweza, Barankekicyi, Kubwimana ou Manishiwe. Nous les attachions sur notre dos avec un morceau de pagne et nous nous promenions ainsi […] »

Vestine a maintenant 27 ans, et sa résilience passe par la prise de parole, sa prise à bras le corps de ces jours dramatiques où la folie destructrice des hommes a frappé, modifiant Vestine et le regard qu’elle porte sur son passé et sur son futur.

C’est un récit magnifique que nous offre Virginie Jouannet Roussel (après son recueil de nouvelles pour adultes chroniqué ICI) : puissant, d’un seul tenant, et porté par une énergie incroyable.
Impossible de s’en détacher lorsque l’on commence à le lire, car cela réduirait Vestine au silence. Et ces mots, nécessaires, doivent faire leur chemin jusqu’à nous.

Vestine, une légende noire de Virginie Jouannet Roussel, aux éditions Actes Sud Junior« Un jour Bernstein m’a demandé de nommer ce qui s’était passé pour moi là-bas, sur la route. Il m’a expliqué que donner un nom aux choses pouvait aider, alors j’ai dit « ma légende noire » et il a eu l’air très satisfait. Bien sûr, il avait deviné que je ne parlais pas de couleur de peau mais d’une histoire de nuit, de froid, malgré le soleil qui tape, une histoire peur noire… »

Vestine, une légende noire de Virginie Jouannet Roussel
Aux éditions Actes Sud Junior
Collection D’une seule voix
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Quand le cœur s’arrête d’Adriana Lisboa

Catégorie Littérature jeunesse -Roman-
Parution en juillet 2009
Pour adolescents

Adriana Lisboa« Je suis resté toute la semaine chez eux, dans la chambre de Paloma, à écrire sans m’arrêter sur cet ordinateur. »

Il a quinze ans et habite Rio de Janeiro. Ce qu’il écrit va devenir le roman que nous lisons, Quand le cœur s’arrête, une sorte de bouteille à la mer, un signe, un appel, envoyé à un destinataire absent.

« J’avais écrit plusieurs pages, où il était d’abord question de la mer, puis des gens pressés de Rio de Janeiro, de mon père au volant et de la chanson qui dit Si a tu ventana llega/ Una Paloma/ Tratala con cariño/ Que es mi persona. J’avais raconté comment elle m’avait offert mon skate.
Une lettre pour toi.
Si c’est une lettre, pour en être vraiment une, il faut bien qu’elle soit lue, non ? »

Par petites touches, courts paragraphes, portions de textes, Adriana Lisboa dessine une vie d’adolescent : ses espoirs, ses répulsions, ses pudeurs.
Sa famille aussi, son père un peu trop brutal et sa mère
« presque belle », et ses rencontres, au milieu d’une ville de « gens pressés ».

« Je me demande bien où ils vont, tous. Je ne sais pas s’ils y pensent. Si, quand ils sortent de chez eux, le matin, ils se demandent où ils vont, et pour quelle raison ils y vont, et pourquoi il faut qu’ils y aillent en se précipitant comme ça. »

C’est un texte délicat et sensible, qui pousse à la rêverie tout en donnant accès à une matière tangible : les écrits, pensées, et confidences d’un jeune garçon. La ville de Rio de Janeiro est une singulière toile de fond, car vue à travers les yeux du narrateur.

Lui se sent différent des siens, « une case de plus ou de moins » selon sa mère.
Il se trouve tiraillé entre deux sentiments extrêmes et simultanés : son premier amour d’une part et un accident dramatique de l’autre.
Le « tu » à qui il s’adresse est une silhouette qui plane sur tout le récit et lie les paragraphes entre eux, leur donnant une force émouvante, aux couleurs de chambre d’hôpital et de coma…

Sous la violence
des sentiments son « cœur, parfois, s’arrête de battre ».

Quand le coeur s'arrête d'Adriana Lisboa, aux éditions La Joie de Lire« J’ai déjà ressenti ça quelquefois, et ce n’est pas une façon de parler, ce n’est pas une image poétique. Je suis convaincu que le cœur s’arrête VRAIMENT de battre. Du moins, le mien, il s’arrête. Ç’a commencé avec Paloma et, par la suite, ça m’est arrivé plusieurs fois. Et elle y était toujours pour quelque chose. »

C’est un plaisir de retrouver Adriana Lisboa, après Des roses rouge vif, prix José Saramago 2003. Son style, tout en finesse, touchera les adultes comme les adolescents.

Quand le cœur s’arrête d’Adriana Lisboa
Traduit du portugais (Brésil) par Dominique Nédellec
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Pas folle la guêpe d’Hervé Giraud

Catégorie Littérature jeunesse -Nouvelles-
Parution en septembre 2009
À partir de 12 ans

Pas folle la guêpe d'Hervé Giraud, chez Thierry Magnier « Les Chinois se sont mis à manger autre chose que du riz. Du coup, pour des raisons un peu compliquées à saisir, mon père a vendu pas mal de chambres froides et comme il le dit lui-même : « On ne se plaint pas. » D’ailleurs, il y a des signes qui confirment, on n’est plus obligés de répondre à sa place au téléphone en inventant qu’il n’est pas là et une nouvelle voiture franchement luxueuse avec des sièges de cuir est garée devant la porte. Par ailleurs, cette année, non seulement on part en vacances, mais on ne fait plus de camping. C’est vrai que monter une tente Decathlon à côté d’une Jaguar, ça fait con. Surtout que la fermeture est pétée. »

Voilà le début de la nouvelle Pas folle la guêpe, l’un des quinze textes proposés par Hervé Giraud dans ce recueil.

Les narrateurs de Pas folle la guêpe sont des ados ou des pré-ados, et ils racontent : la fugue du grand frère, l’histoire d’amour du meilleur copain, l’enterrement du grand-père ou le concours de beauté pour chien…

Chacune de ces histoires courtes est percutante. Drôlerie, crudité, les héros avancent sans masque, avec leur regard décalé, ou les pulsions destructrices qui les traversent :

« […] j’aime bien mes cousins, leur apprendre à faire de belles conneries, plus belles que leurs jouets, eux-mêmes bien plus beaux que les miens. C’est moi qui leur ai montré comment allumer des mini-incendies avec l’essence de la tondeuse à gazon ; dégommer au napalm les Playmobil soldats. Enflammer des tranchées entières et voir les corps se dégrader, fondre et se transformer en un petit résidu noirâtre. Tenir un Playmobil mort entre ses doigts, c’est une sensation très intense. »

Joies et peines apparaissent avec ce « portrait de groupe », dans une écriture qui n’est ni pontifiante ni moralisatrice. Les personnages sont bien ancrés dans le réel, exposés avec leurs nuances et leur complexité, l’éventail allant de la méchanceté à la tendresse.

Les chutes des nouvelles d’Hervé Giraud ne donnent pas forcément de clés, simplistes ou réductrices. C’est la particularité de ce recueil.
Pas folle la guêpe, d’une façon amusante qui pourrait passer pour légère, ouvre des perspectives et offre des angles de vue inexplorés.

Et les sentiments forts ne sont pas laissés sur le bas-côté.

« En fait, je frime. Je n’ai rien compris à ce qui se passe, mais aussi vrai que j’existe et que je saigne quand je fais une culbute avec mon vélo tout-terrain, aussi vrai que mon sang a la capacité de se disperser en gouttes qui jamais ne se reformeront, je sais que les parents peuvent se séparer, s’aimer, se regrouper, se démultiplier, se multiplier, partir et se diviser et que pour moi ça ne change rien, je les aime et ils m’aiment pareil. »

Pas folle la guêpe d’Hervé Giraud
Aux éditions Thierry Magnier
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Non-Non a très faim, et Non-Non n’a plus rien à se mettre de Magali Le Huche

Catégorie Littérature jeunesse -Album-
Parution en août 2009
À partir de 4 ans
(Illustrations : Copyright éditions Tourbillon)

La vie de Non-Non n’est pas très simple. Il se retrouve toujours devant des questions difficiles…
Par exemple, ce matin, il a très faim, mais ne sait pas de quoi…

Non-Non a très faim, de Magali Le Huche

Il faut dire que dans son frigo, entre les emballages vides et les cuisses de mouches périmées…

Qu'est-ce qu'il y a dans le frigo de Non-Non ?

Non-Non va battre le rappel de ses amis.
Après tout, ça sert aussi à ça, les copains.

Le lapin Bio se nourrit sainement (bof…).
Grouillette la grenouille vient d’ouvrir un restaurant pour fourmis (euh…).
Grocroc l’ours récupère ce qui a été jeté (ah ?…)…

Finalement, Non-Non trouvera son met favori : un met très… surprenant ! (que je ne dévoilerai pas ici…)

Non-Non n'a plus rien à se mettre, de Magali Le Huche

Non-Non est un petit personnage attrayant (sans doute un ornithorynque mais la communauté scientifique n’a rien confirmé…).

Ses aventures sont réjouissantes. De l’humour se cache à chaque page, y compris derrière les volets que l’on a hâte de soulever.

Non-Non

Ces deux albums de Magali Le Huche sont très soignés.
Entre Non-Non a très faim mais ne sait pas de quoi et Non-Non n’a plus rien à se mettre, on a du mal à choisir (comme Non-Non, d’ailleurs) !

Non-Non se cherche un nouveau look...
Les amis du petit animal, très typés, ajoutent à la qualité des histoires : un lapin adepte du naturel, un ours qui trie les déchets, une grenouille un peu excentrique… Décidément, Non-Non a d’excellentes fréquentations.

Les volets qui agrémentent les illustrations sont un régal (l’ouverture du frigo de Non-Noest particulièrement savoureuse!).

dans le frigo, il y a...
Deux albums à déguster. Oui, oui !

Non-Non a très faim, et Non-Non n’a plus rien à se mettre de Magali Le Huche
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