Catégorie Incontournables
Littérature Jeunesse -Album-
À partir de 5 ans
Dans la série des incontournables petites merveilles à petit prix, il y a cet album, Le Tunnel.
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Voilà une sœur et un frère qui sont « différents en tous points ».
Elle est calme et rêveuse, et reste le nez dans ses livres la plupart du temps. Il est bagarreur, joueur, actif, bruyant et sans cesse en mouvement.
Rien ne les réunit, tout les sépare. Pas étonnant que les disputes et les chamailleries soient monnaie courante entre ces deux là.
Un matin où leur mère perd patience, ils se retrouvent consignés dehors. Leurs pas les conduisent dans un terrain vague, où un tunnel mystérieux attire le frère. La sœur, désemparée, le voit s’enfoncer à l’intérieur…
Que va-t-elle faire ? Aura-t-elle le courage de le suivre ?
Voilà l’histoire qu’Anthony Browne choisit de raconter ici. Et il y a de multiples choses à en dire !
Les images d’abord.
Très belles, elles ne sont pas des illustrations au sens propre puisqu’elles n’ « illustrent » pas le texte, mais y ajoutent des perceptions, des sensations supplémentaires.
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L’auteur place ses personnages dans un monde véridique, puis fantasmé, avec un glissement fluide, progressif.
On obtient une histoire « onirico-réaliste » (un qualificatif sans doute bizarre, mais Anthony Browne y parvient !) où certaines pages troublent en touchant l’inconscient.
Les images qui montrent la forêt, par exemple sont foisonnantes de détails qui vont toucher juste : feu de bois, maisonnette lointaine, arbre magique, porte irréelle, écorce noueuse tordue faisant apparaître un loup, un sanglier, un monstre…
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Le sens du temps est aussi porté par les images : quatre d’entre elles pour entrer dans le monde fantastique, quatre autres pour revenir au monde « normal ». Le décalage s’opère dans un sens, puis dans l’autre.
Anthony Browne n’hésite pas à modifier le cadrage de l’image, en montrant des scènes qui laissent deviner du hors-champ : cette manière de nous emmener avec lui est extrêmement efficace, car nous imaginons le monde autour de ces parties manquantes.
L’expression des visages est magnifiquement rendue !
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Décors léchés, effets de lumière, fantasmagorie, justesse des sentiments exprimés… On se demande ce qui pourrait bien manquer à ces illustrations…
Quant au texte et à la trame, que dire ?
Acceptation de l’autre et de ses différences, chemin vers lui, difficultés du dépassement de soi, imaginaire, peur de l’inconnu qu’il nous faut transcender, affection… Les pistes offertes sont aussi nombreuses que riches de sens !
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Ne serait-ce que par l’apparition, dans les toutes dernières lignes, des prénoms de ces deux enfants : ils ne sont plus la « sœur » et « le frère », mais Rose et Jack. Leur expérience commune leur a donné une existence propre.
Nommer l’autre, se nommer soi-même, s’accepter comme on accepte autrui, se grandir, dépasser ses limites pour s’extraire de son nombrilisme, s’ouvrir au monde…
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Décidément oui, les tenants et les aboutissants du Tunnel sont si profonds et si complexes que cette humble chronique ne pourrait en faire le tour.
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Lire Le Tunnel à un enfant est un moment fort. L’inquiétude diffuse, inexprimable, provoquée par la forêt mystérieuse…
Le soulagement lorsque survient le dénouement…
Le silence rêveur qui suit cette lecture… Autant d’émotions rares.
Sans oublier le symbole de la couverture : un livre de contes ouvert, une petite fille qui s’enfonce dans l’inconnu. Au dos du livre, l’ouverture est vide et le livre est refermé. La fillette est-elle entrée dans le tunnel où dans le livre ?
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Une manière de dire la force de l’imaginaire…
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Le Tunnel d’Anthony Browne traduit de l’anglais par Isabel Finkenstaedt, © Kaléidoscope 1989
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