Archives de Catégorie: INCONTOURNABLES JEUNESSE

De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête de Werner Holzwarth et Wolf Erlbruch

À partir de 2 ans

« Comme tous les soirs la petite taupe sortit de terre son museau pointu, juste pour voir si le soleil avait disparu. Et voici ce qui arriva.
(C’était rond et marron, aussi long qu’une saucisse, et le plus horrible fut que ça lui tomba exactement sur la tête, sploutsch !)

-Mais c’est dégoûtant ! rouspéta la petite taupe. Qui a osé faire sur ma tête ?
(évidemment, personne ne répondit.) »

Voilà la petite taupe bien décidée à retrouver le coupable. Elle s’adresse à tous les animaux qu’elle croise, leur demandant « Est-ce toi qui m’as fait sur la tête ? » avec ténacité.
En les passant en revue, l’un après l’autre, elle constatera qu’il est possible d’identifier le fautif, car la chèvre et la vache, par exemple, ne font pas la même chose… lorsqu’elles font…




Et oui, tour de force : les mots « caca » ou « crottes » n’apparaissent pas dans cet album, alors qu’ils en sont le thème principal !

De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête n’est pas seulement un album drôle, original et particulièrement savoureux. Il a aussi l’avantage d’être utile à l’âge où l’on apprend la propreté, au moment où un nouveau rapport au corps s’installe. Vers l’âge de deux ans, il peut paraître déstabilisant d’éjecter un morceau de soi, d’en faire le deuil, et ce passage charnière n’est pas toujours simple à gérer.
En parler, nommer les choses, s’en amuser, c’est dédramatiser l’enjeu, et cet album est une excellente façon d’y parvenir.



La construction efficace des pages est rassurante : à gauche, la taupe et sa question reviennent comme un refrain, avec la tête ébahie de l’animal interpelé.
À droite, on voit son postérieur et sa « production ». La réponse à la question posée est toujours renouvelée !

On peut s’en donner à cœur-joie, sans hésiter à donner à sa voix des inflexions différentes pour toutes ces crottes qui tombent (« pouf pouf » pour le cheval,
« ratatatata » pour le lièvre,
« clang-di-clang-di-clang » pour la chèvre…)…



Le dessin et sa coloration simple (marron, ocre et orange déclinés) est très jouissif : la petite taupe un peu têtue qui se hisse sur ses petits pieds, le cheval massif qui porte de fines lunettes, le cochon gras au groin comme une prise électrique…

De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête apporte la surprise et l’attrait de pouvoir parler et de rire d’un sujet un peu « tabou ».
Au fond, la grande leçon à retenir, c’est qu’on fait tous caca ! (ce qui est quand même très réconfortant)

Et comme l’histoire finit bien, la petite taupe, radieuse, pourra retourner sous la terre « là où, assurément, personne au monde ne pouvait lui faire sur la tête »

(en même temps, on a bien envie qu’elle ressorte et que quelque chose lui arrive encore sur la tête, non ?…)



De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête de Werner Holzwarth et Wolf Erlbruch

Aux éditions Milan Jeunesse
Parution en 2004
Adapté de l’allemand par Rozenn Destouches et Gérard Moncomble
Catégorie Incontournables jeunesse -Album-

Le Tournemire de Claude Ponti



Illustrations sous copyright des éditions L’école des Loisirs

« Ce soir-là, alors qu’ils reviennent de leur promenade, Mose et Azilise ne remarquent rien du tout. »

Difficile – et peut-être inutile – de raconter la trame du Tournemire… C’est qu’il est question de beaucoup de choses dans cet album où Claude Ponti, comme à l’accoutumée, place des enjeux importants et rarement vus en littérature enfantine, tout du moins sous cet angle. Des thèmes comme la peur, la perte et la construction de soi sont abordés « par la bande » avec une délicatesse sans équivalence.


Chez Claude Ponti, les champignons ont des visages, les pancartes des fesses rebondies et des queues en tire-bouchons. Au pays du Tournemire, Mose, devenu léger comme un ballon, s’envole. Azilise l’aime assez pour ne pas le lâcher, et des fleurs poussent derrière elle lorsqu’elle marche. Tous les deux seront confrontés au Schniarck (horrible monstre !) qu’ils sauront vaincre et même rendre ridicule. Leur périple les conduira loin, très loin des leurs, mais ils sauront prendre le chemin du retour, et nous les verrons à la fin raconter leurs aventures bien au chaud, serrés au cœur d’une cabane en forme de tasse à café géante…

Un album de Claude Ponti est toujours une réussite en soi, par la poésie fraîche du texte, jamais maniérée, par la chaleur autant que l’humour qui se dégagent des personnages et des situations. Dire la joliesse des illustrations, parler de la beauté simple et ludique de la langue est une évidence.

Mais un livre comme le Tournemire est encore plus que cela : il touche à l’essentiel, au fonctionnement profond de l’individu, aux ressorts inconscients qui l’animent, qui nous animent. Il atteint des replis inexplorés et prend des chemins difficiles avec une facilité déconcertante. C’est une expérience que l’on ne trouve nulle part ailleurs, intense. Il suffit d’observer le visage d’un enfant qui écoute et regarde l’histoire pour s’en convaincre.

Un Tournemire (dont on ne sait rien, ni ce qu’il est, ni à quoi il ressemble) a transformé petit à petit les enfants du village, l’un en lampadaire pour éclairer la rue, l’autre en meuble à tiroirs pour ranger son matériel de pêche, ou encore en fontaine…etc. Cela ne déplaît pas aux parents qui s’accommodent bien de cette situation. Il est plus facile pour eux de faire les courses ou de se désaltérer.


Azilise et Mose, deux de ces enfants pontiesques (grandes oreilles de fennec et petit minois) vont échapper à l’emprise de modification du Tournemire. Ils partent, s’éloignent, pendant que leurs parents s’enfoncent dans le plancher. Ou, autrement dit, ces deux-là refusent d’être formatés, prêts à l’emploi, utilisables, utilitaires. Ils ne correspondront pas à ce que leurs parents ont prévu pour eux, veulent obtenir d’eux (des parents tellement figés dans leur logique qu’ils s’enfoncent profondément dans le parquet, au point de ne plus pouvoir avancer d’un pied). Les deux enfants grandiront à leur manière, selon les décisions qui leur seront propres.

Le départ d’Azilise et Mose figure la séparation inéluctable qui guette l’enfant. Grandir, c’est se défaire petit à petit de cette fusion enfants-parents si rassurante. C’est devenir un individu « autre », sortir d’un cocon parfois trop calibré. L’entreprise semble dangereuse, mais il faut bien choisir une direction (ici, tomber, ou se lancer grâce à une pancarte, un peu peureuse, mais aussi joyeuse qu’un chiot, donc encourageante).

Azilise et Mose vont ensuite affronter le monstre : c’est le Schniarck, l’effaceur d’enfant. Il leur faudra échapper, non pas à ce qui pourrait être une métaphore de la mort – car Claude Ponti ne fait pas miroiter l’impossible – mais échapper à la négation de soi, à la dissolution de ce qui fait leur personnalité. Ce sont leurs particularités (devenir léger, faire pousser des fleurs) qui sauveront les deux enfants de l’anéantissement. Ce qui pourrait être des défauts, des différences, se révèle en fait les atouts qui vont les rendre uniques. Et ineffaçables.


La « gestation interne » de l’individu qui le fait progresser, se développer, est figurée par le personnage du Bébé-Maison. Énorme poupon ventru, il avale Azilise et Mose tout rond. Pendant que les deux enfants se déplacent à l’intérieur de lui (un enchevêtrement de pièces complexes, tantôt trop petites tantôt immenses) c’est toute leur personnalité qui se construit. Lorsqu’ils ressortent enfin, le Bébé-Maison est devenu une vraie maison, avec des fenêtres, un toit, une cheminée et une porte. À sa manière, Claude Ponti assure que même si le trajet intérieur peut sembler compliqué ou obscur, il est salutaire et débouche sur une porte de sortie, la construction de l’individu et l’épanouissement de soi.


Azilise et Moze devenus « entiers », construits, retrouvent le chemin qui les ramène chez eux. Leurs parents, figés dans leurs certitudes, s’en extraient (par amour !) et les lattes de parquet qui les encerclaient tombent. Chacun aura fait un pas vers l’autre, en acceptant celui-ci, les enfants retrouvant leurs parents libérés et les parents prenant la mesure des progrès de leurs enfants.

La fin montre qu’Azilise et Mose n’ont plus besoin d’affirmer leurs différences avec véhémence. Ils feront pousser des fleurs ou deviendront légers « seulement quand ils en ont envie ». Le Tournemire qui flottait dans l’air, cette entité inconnue et sans visage, inquiétante, s’est révélée plus utile que dangereuse. C’est grâce à lui que les deux enfants se sont développés harmonieusement. La transformation constante qui accompagne l’enfance n’est pas forcément synonyme de danger. Et l’amour est resté au centre de tout, essentiel à leurs vies.


La grande force de cet album est de toucher le lecteur « particulièrement », au sens premier du terme. C’est sans doute cela, la part de magie de Claude Ponti, cette impression qu’il s’adresse à nous en tant qu’individu unique, nous touche au centre. Et qu’il réussit à dessiner et à dire toutes ces choses de l’intime, que nous avons souvent tant de mal à formuler clairement.

Le Tournemire
peut se lire et se relire à satiété. Quel plaisir aussi de comprendre le texte « à rebours » avec le jeune lecteur. Car maintenant, nous savons ce que Mose et Azilise n’ont pas remarqué à la première page, et qui est pourtant déjà perceptible à de tout petits détails :
qu’ « Azilise sème des fleurs et Mose devient léger »….

À partir de 5 ans
Publication en 2004 à L’école des Loisirs


La grenouille à grande bouche d’Elodie Nouhen et Francine Vidal

Album à partir de 4 ans
*Illustrations sous copyright des éditions Didier jeunesse*

La grenouille à grande bouche d’Elodie Nouhen et Francine Vidal

« La grenouille à grande bouche
gobe des mouches avec sa grande bouche.
Elle vit dans une mare
sur un nénuphar
qui lui sert de plongeoir.

Mais voilà qu’un soir, elle en a marre.
Des mouches au petit-déjeuner,
des mouches au dîner,
des mouches toute la journée,
elle en a assez ! »

Ainsi commence le voyage de ce petit batracien. Passant d’un paysage à l’autre au rythme d’une petite chanson (« Hopi, Hopa, la voilà qui s’en va »), la grenouille demande aux personnages de ce livre de quoi ils se nourrissent… Et les réponses du tamanoir ou de la girafe, pour ne citer que ces deux là, l’étonnent beaucoup !

Finalement, peu curieuse de tester de nouvelles saveurs (les feuilles des arbres ? « Baahhh ! » Les asticots ? « Ouah ! »), elle décide de rentrer chez elle. Mais « deux yeux » l’attendent ainsi que deux rangées de dents pointues et effrayantes… Comment La grenouille à grande bouche va-t-elle se sortir de là ?…

Voilà une histoire joliment tournée par Elodie Nouhen. Elle met en scène une grenouille un peu simplette qui ne connait pas grand chose au monde qui l’entoure, mais part vaillamment à sa découverte.

La fin et son coup de théâtre montreront que la naïveté de la grenouille n’est pas synonyme de bêtise, car elle saura réagir avec beaucoup de sang froid devant le danger (et son sens de la répartie risquera en plus de provoquer chez les lecteurs un grand éclat de rire !).

rencontre avec le tigre...
Le vocabulaire est soigné et les animaux passés en revue vite épinglés par des adjectifs simples. Gros, grands, doux, bizarres, ils ont tous des caractéristiques bien précises en plus de repas différents.

Le texte en forme de ritournelle permet des effets de voix amusants : donner à la grenouille une articulation outrancière (puisqu’elle a une grande bouche, il faut bien que cela s’entende !) ou au tigre un timbre doux et grave est un plaisir qu’il ne faut pas se refuser.

Le texte est habilement intégré aux illustrations, de manière inventive ! Rien n’est laissé au hasard : les lettres colorées suivent le mouvement, et indiquent une similitude entre deux mots, ou le degré d’écœurement de la grenouille à travers l’écriture de ses cris.

la grenouille à grande bouche et ses empreintes
Et, merveille de plus, le travail d’illustratrice de Francine Vidal est riche de nuances, tons chauds et colorations adroites, en plus des jeux d’empreintes et de tracés qui donnent vie aux sautillements de la grenouille.

En bonus, un clin d’œil apparaît à la relecture :
la montagne ronde si bien dessinée sur laquelle la grenouille grimpe, n’est-ce pas le dos du rhinocéros ? Et la forêt remplie de troncs d’arbres ressemble, en y regardant bien, à une forêt de longues pattes de girafes…

une forêt de pattes de girafes...
Beaucoup de qualités, donc, chez cette Grenouille à grande bouche parue en 2004 chez Didier Jeunesse, ce qui en fait un album incontournable.

Hopi, Hopa, ma chronique finit là !

le voyage de la grenouille à grande bouche

La grenouille à grande bouche d’Elodie Nouhen et Francine Vidal
Aux éditions Didier Jeunesse
format pdf imprimable

Moi et mon Mammouth de Joel Stewart

Catégorie Incontournable Littérature Jeunesse -Album-
À partir de 4 ans


Voilà un petit garçon qui a un léger souci : il adore bricoler, mais à chaque fois qu’il se lance dans la confection d’un objet, celui-ci ne correspond pas tout à fait à ses attentes…

Le petit bricoleur

Comme il est sérieux (et tenace !), il prend le taureau par les cornes :

« Alors, j’ai décidé d’acheter un kit de fabrication, avec les instructions de montage et tout et tout. Normalement, je ne pouvais pas me tromper.Mais, quand j’ai terminé…
… c’était beaucoup plus grand que prévu.
Et ça ne ressemblait pas du tout au dessin sur la boîte. »

Le mammouth
Voilà la situation initiale de l’album Moi et mon Mammouth, et la suite est à la hauteur de ce début ! Car le Mammouth – en plus d’être énorme et poilu – sait voler…

Il emmènera le petit garçon bricoleur jusqu’au pôle, histoire de nouer quelques contacts avec les renards polaires (qui sont, peu de gens le savent,  d’incroyables sculpteurs sur glace).

S’il y a un album qui sait charmer sur tous les plans, que ce soit par ses illustrations ou son texte, c’est bien Moi et mon Mammouth.

Fantaisie, légèreté, pays imaginaire, clins d’œil, tout est réuni pour en faire un moment de lecture précieux. Et le personnage principal est un petit garçon adorable, avec lequel s’identifier sera facile.
Impossible de résister à l’envie de le suivre : il n’est pas parfait, comme en témoigne son problème de bricolage, pas héroïque non plus :

« Nous avons décollé. Je n’avais même pas peur de survoler la ville sur le dos d’un mammouth volant.
Au bout d’un  moment, j’ai même ouvert les yeux. »

vol de mammouth
Le concours de sculpture sur glace des renards polaires vaut le détour ! Certaines réalisations sont particulièrement étonnantes au milieu de la banquise : escargot, chapeau de cowboy, banane, cactus…

Le concours de sculpture sur glace
Et la dernière page met en scène toute la magie de ce petit monde. C’est une belle envolée vers un pays très très lointain devenu accessible.

Publié en septembre 2007, cet album de Joël Stewart devrait faire partie de toutes les bibliothèques enfantines. Pas d’hésitations à avoir : adoptez ce Mammouth !

Moi et mon Mammouth de Joel Stewart

Moi et mon Mammouth de Joel Stewart
Adaptation française de Didier Debord

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Max et les Maximonstres de Maurice Sendak

Catégorie Incontournables Littérature jeunesse
-Album-
À partir de 4 ans

max_et_maximonstres_couvClassique de la Littérature enfantine écrit en 1963, publié par l’École des Loisirs en 1973 et sans cesse réédité depuis, Max et les Maximonstres n’a pas toujours été considéré comme propice à l’épanouissement de jeunes lecteurs. Lors de sa sortie, un libraire a même formulé ce conseil protecteur : ne laissez pas ce livre le soir à portée de main d’un enfant sensible…

C’est vrai que le jeune Max pourrait fort bien être vu comme un perturbateur, celui qui transgresse les règles et s’affranchit de toute culpabilité. Un futur hors-la-loi, en somme.

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Jugez plutôt : Max, costumé en loup blanc, plante des clous dans les murs et poursuit son chien avec une fourchette…
« « Monstre », lui dit sa mère. « Je vais te manger » répondit Max et il se retrouva au lit sans rien avoir mangé du tout. »

Au lieu de promettre d’être plus sage à l’avenir, Max s’évade dans une jungle miraculeusement sortie des murs de sa chambre. Il part rencontrer de terribles monstres, il les domine, devient leur roi. Mais l’envie lui prend « d’être aimé, d’être aimé terriblement ». Il rentre alors chez lui où il trouve son dîner qui l’attend, « tout chaud ».

La désobéissance récompensée ?… Si Max et les Maximonstres a fait l’objet d’un opéra, d’un projet de dessin animé par Disney, d’une  version ballet pour l’American Repertory Ballet, et d’un film (qui sortira en octobre 2009), c’est bien qu’il s’agit d’autre chose et que les enjeux profonds dans cet album touchent l’inconscient.

Tout d’abord, Max n’est pas qu’un enfant : c’est un enfant déguisé en loup. La part d’animalité est là, avec sa violence, son agressivité, son refus des règles. Mais ce loup est « blanc », une sorte de marque de pureté pour ce petit garçon. Il est un terrain vierge, en apprentissage du monde, qui doit apprendre à gérer ses pulsions et ses frustrations.

Face à la punition, il choisit la rêverie, l’imaginaire, et c’est dans ce monde inventé qu’il va régler ses comptes et finir par se dépasser. Créativité et création ne sont pas ici de simples divertissements, mais des moyens d’expression, des outils nécessaires, indispensables même, au voyage intérieur.

Max s’échappe vers une terre lointaine, navigue sur un océan qui gronde (symbole de sa colère d’avoir été puni) et arrive au pays des Maximonstres, des animaux « terribles » non identifiables, faits de crocs, de pattes griffues et de cornes, la bestialité à l’état brut. Il les dompte, les dirige, les utilise pour faire une « fête épouvantable » où il pourra laisser s’exprimer toute sa frustration, se laisser submerger par elle.

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Les illustrations, à ce moment de l’histoire, occupent toute la surface de la page. Fantasmagoriques, elles démontrent il n’y a plus besoin de mots dans cet épanchement extrême.
Une fois purgé, vidé de sa révolte, Max peut se « reprendre » et quitter la rage qui s’est emparée de lui. Il met alors un terme à la fête, contrôle l’incontrôlable et redevient détenteur du « bien », rétablissant l’ordre, édictant les règles que les Maximonstres devront dorénavant respecter.

Il peut maintenant rentrer chez lui en petit garçon calmé, débarrassé de sa frustration destructrice. Il commence même à ôter son costume de loup blanc, preuve qu’il n’a plus besoin d’être « sauvage » et qu’il peut reprendre sa place dans la société, retrouver la rassurante odeur de nourriture et la chaleur d’être aimé.

Max et les Maximonstres est un petit bijou, tant pour le texte et son économie, que pour les illustrations, drôles, inventives, à la symbolique forte, en particulier celle du voyage sur l’océan : Max y navigue en « terre inconnue », mais manie le gouvernail avec confiance. Il est décideur de son chemin comme le montre ce bateau qui porte son nom…

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Une merveille, donc, à déguster à tout âge et à examiner à chaque fois avec une curiosité renouvelée !
À ce propos, le monstre sur la couverture est-il endormi, attristé, fatigué ou se sent-il abandonné ? Chacun choisira une réponse qui lui ressemble…

Max et les Maximonstres de Maurice Sendak



Une soupe au caillou d’Anaïs Vaugelade

Catégorie Incontournable Littérature Jeunesse -Album-
À partir de 4 ans


couv_soupe_au_caillou« C’est la nuit, c’est l’hiver.
Un vi
eux loup s’approche du village des animaux. »

Il suffirait de s’arrêter là un instant pour imaginer toute une ribambelle de possibles : animaux effrayés et dévorés (hypothèse dramatique), animaux rusés qui prendront le loup au piège (hypothèse surprenante), animaux benêts et loup idiot (hypothèse comique)… ?

Et bien sûr, c’est sur une autre piste que va nous emmener Anaïs Vaugelade, avec un loup étrange, loin de la figure habituelle du dévoreur de Chaperon Rouge.

Celui-ci est affamé, c’est vrai, mais sans dents. Il lui est impossible de dévorer ses petits camarades de pages. Il désire juste passer un moment dans l’accueillante maison de la poule, en la faisant profiter de sa recette personnelle de soupe, Une soupe au caillou.

Justement, il a un caillou dans son sac, un gros, bien lourd et bien dodu. Il lui faudrait une marmite et que l’on fasse chauffer de l’eau…

« « Et c’est tout ? » demande la poule.
« Oui, c’est tout ».
« Moi dans mes soupes », dit la poule, « j’ajoute toujours un peu de céleri ».
« On peut, ça donne un goût », dit le loup. »

Les autres animaux du village viennent aux nouvelles, les uns après les autres. Passé la surprise de voir ce loup et ce qu’il veut faire, tous se demandent s’il n’est pas possible d’ajouter un ingrédient à cette soupe curieuse : courgette, poireau, chou… Tout y passe.

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Ils se régalent tous, avec cette soupe miraculeuse qui les a réunis. Ils passent une bonne soirée… jusqu’au moment où le loup sort son couteau pointu (aahhhh !!!)… mais lisez vous-même la fin de cette histoire plutôt… encourageante !

Le texte d’Anaïs Vaugelade n’est pas bêtifiant, loin de là, même si elle s’adresse à de jeunes enfants. Et la trame, par bien des aspects, vaut qu’on s’y attache.

Le loup d’abord : vieillissant, il n’est plus une menace pour personne. Il suffit de passer par-dessus ses préjugés pour s’en apercevoir. C’est un « étranger » dans ce village, mais l’accueillir va apporter beaucoup à tous. L’humanisme à la portée d’enfants de quatre ans…

Car c’est le conte de la solidarité et de la chaleur humaine (…euh…animale, plutôt). Tous vont se dépasser, et rompre leur isolement.

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D’abord en s’inquiétant de la destinée de la poule : seule, chez elle, et avec un loup en plus !
Puis en participant à l’entreprise collective, chacun donnant son grain de sel, ce qui va s’avérer délicieux. Ensemble, on se tient chaud, on a moins faim, on se raconte des blagues, on discute, on apprend à mieux se connaître, on s’ouvre l’esprit.

Et au final, l’astuce du loup pour obtenir à manger n’est pas agressive. En échangeant la convivialité contre un repas, personne ne sera lésé par cette ruse, ce qui n’est pas ordinaire…

Les illustrations sont savoureuses. Les couleurs chaudes, jaune et orange, autour du feu de cheminée, accentuent l’impression de chaleur rassurante, et le contraste est grand avec le paysage hivernal du village, gris et blanc, vu à l’extérieur de la maison. Les animaux, cochon, chien, cheval, canard, sont comiques dans leurs attitudes inquiètes, étonnées ou joyeuses. La poule a du caractère ! Bavarde, curieuse, affairée, c’est un vrai personnage attachant, tout comme le cochon un peu rustre, et le canard légèrement prétentieux. Une belle palette de caractères présentés avec une économie de mots et de dessins.
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S’il y a beaucoup de versions de ce conte philosophique qu’est Une soupe au caillou, celle d’Anaïs Vaugelade possède un charme indéniable, avec son grand loup à la silhouette dégingandé, un peu triste, un peu solitaire, mais empli d’une finesse cachée presque émouvante…

Une soupe au caillou à déguster, sans avoir peur d’en reprendre une louche, encore une louche, et puis une autre !

Une soupe au caillou d’Anaïs Vaugelade
À la Petite bibliothèque de l’École des Loisirs
(petit format, petit prix !)



C’est moi le plus fort de Mario Ramos

Catégorie Incontournable Littérature Jeunesse
-Album-
À partir de 4 ans


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Quand on a quatre ou cinq ans, il y a un objectif terrible que l’on voudrait atteindre : être LE PLUS FORT.

Ça tombe bien : le loup de cet album de Mario Ramos est dans le même état d’esprit. Mieux, il est convaincu, oui, il est persuadé d’être le plus fort.

Pour confirmation – et parce qu’il n’a plus faim – il pose la question à tous ceux qu’il croise.

Un joli petit lapin de garenne le conforte dans ses certitudes :
« « Le plus fort, c’est vous Maître Loup. Incontestablement et sans aucun doute, c’est absolument certain », répond le lapin. »

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Le Petit Chaperon Rouge et, plus tard, les Trois Petits Cochons sont bien d’accord :
« « Le plus fort, le plus costaud, le plus beau, c’est assurément vous, Grand Méchant Loup ! » répondent ensemble les trois petits. »

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Même réponse avec les Sept Nains à qui le Loup pose la question en ces termes :
« Hého ! Les zinzins du boulot, savez-vous qui est le plus fort ? ».

Très fier de lui, sûr d’être invincible, le Loup croise un dernier personnage, minuscule, « une espèce de petit crapaud » :

« « Salut, horrible chose. Je suppose que tu sais qui est le plus fort ? » dit le loup. »

Coup de théâtre ! La réponse de l’espèce de « petit crapaud » n’est pas celle attendue… Et le loup va brutalement se mettre dans une ÉNORME colère…

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...avant de revenir à un peu plus d’humilité, car la chute est sans appel !

C’est moi le plus fort de Mario Ramos est bien un incontournable de la littérature jeunesse : des illustrations efficaces présentent un loup vantard et sûr de lui, agressif, impressionnant. Le contraste avec la petitesse et la délicatesse des personnages rencontrés est encore plus plaisant.

Le texte offre un bel échantillon de vocabulaire et d’expressions qui ne sont pas souvent utilisés dans les albums pour enfants :
« assurément », « incontestablement », « je me sens bien dans ma peau », « je ne m’en lasse pas »…etc.

L’humour est omniprésent (par exemple, face au Petit Chaperon Rouge : « Sais-tu que cette couleur te va à ravir ? Tu es mignonne à croquer… »). En outre, le ridicule du personnage principal se fait de plus en plus évident à mesure que la progression du loup avance.

La forêt de ce loup est remplie de personnages de conte de fée que l’on sera curieux, et heureux, de rencontrer au fil des pages. De quoi se remémorer d’autres histoires, connues de tous, celles que l’on peut raconter mille fois !

Et la morale dit bien que, tout comme il y a toujours un plus petit que soi, il y a aussi toujours un plus fort que soi ! C’est autrement qu’il faut progresser, car la quête du plus puissant est bien vaine… L’occasion de montrer à un petit lecteur qu’il y a autre chose que les rapports de force dans la vie.

Cet album est paru pour la première fois en 2005, et il est toujours disponible (en petit format et à petit prix chez Lutin Poche) : hourra !

Envie d’un bonus ? Les petits secrets de ce livre vous sont révélés sur le site de l’auteur… Mais chut ! Ne dites pas que c’est moi qui vous l’ai dit !

C’est moi le plus fort

de Mario Ramos

À l’École des Loisirs

et dans la collection Lutin Poche



Chien bleu de Nadja

Catégorie Incontournables Littérature Jeunesse -Album-
À partir de 4 ans
Illustrations sous Copyright des éditions L’école des Loisirs

couv_chienbleuFaites de la place sur les étagères ou sur les tables de chevet des petits derniers : Chien Bleu est un incontournable par excellence. Il pourrait être la réponse à la question « Et s’il n’en fallait qu’un ? »…

Des illustrations somptueuses, une histoire prenante, des émotions intenses, voilà le contenu de cet album.

Charlotte est une petite fille solitaire qui vient tout juste de rencontrer un « chien étrange, au pelage bleu, aux yeux verts brillants comme des pierres précieuses ».

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L’enfant et le chien deviennent complices, jusqu’à ce que la maman de Charlotte intervienne :

« Je ne veux pas que tu joues avec ce chien. On ne sait pas d’où il vient, il est peut-être méchant ou malade. De toute façon, je ne veux pas de chien à la maison. »

C’est la séparation, et elle est douloureuse…
Au cours d’un pique-nique, la petite fille se retrouve perdue dans les bois. Il fait sombre. Le décor est effrayant. Une créature s’approche de Charlotte :

« Terrifiée, elle vit une immense silhouette se précipiter sur elle. Lorsque l’animal fut tout près, Charlotte poussa un cri de surprise : c’était Chien Bleu, qui l’avait suivie à la trace et retrouvée dans la forêt ! Elle l’enlaça de toutes ses forces. »

Mais « l’Esprit des bois », transformé en panthère noire, est bien décidé à s’emparer de la proie qui vient d’entrer sur son territoire. « « J’en ferais bien mon dîner », se dit-il en avançant dans la lumière. »

Dès lors, c’est la lutte entre le vaillant Chien Bleu et le monstre de la nuit. Heureusement que l’histoire ne s’arrête pas là !…

Les illustrations pleine-page de Nadja provoquent l’immersion dans la fiction : joliesse de Charlotte, pureté des lignes de Chien Bleu, rigidité de la mère – vue de dos et vêtue de noir – qui s’oppose à l’amitié naissante. La forêt est magnifiquement rendue dans un travail de touches enchevêtrées, jaunes, ocres, brunes et terre de sienne. C’est toute la « patte » de Nadja dans ces gouaches expressives.

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Les thèmes de Chien Bleu sont forts : l’ami imaginaire, les frayeurs nocturnes, l’incompréhension des adultes… Car Chien Bleu est bien plus qu’un chien héroïque.    Il peut être vu comme le symbole de la fiction rassurante : ce chien qui ne ressemble à aucun autre, et qui parle aux seules oreilles de celle qui peut l’entendre, celle qui l’a choisi. C’est la part du rêve qui sauve (qui sauve ici de la solitude, de la peur, de la séparation)… Il peut aussi figurer la transformation affective opérée sur l’être que l’on aime. Un simple chien, le plus commun des chiens, objet d’une si grande affection, ne peut devenir que majestueux et magique. Il est vu avec les « yeux du cœur », il « devient » Chien Bleu, et la vie ordinaire ne l’est plus tout à fait. Elle se trouve transfigurée par les émotions.

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L’idée de la perte (perte dans la nuit, dans le sommeil) est aussi un enjeu, avec cet espace ou les forces primitives, qui s’affrontent dans d’incontrôlables cauchemars, se retrouvent terrassées par la lumière, le réveil, puis le retour vers la protection des siens. Preuve d’amour finale : l’acceptation totale, par ses parents, de tout ce qui constitue Charlotte, ses frayeurs, ses rêves, ainsi que l’attachement qu’elle éprouve pour Chien Bleu.

L’album s’ancre aussi dans une sorte de filiation, avec Charlotte, en robe rouge, portant un panier, comme le fait le Petit Chaperon Rouge. L’Esprit des bois personnalise toute la kyrielle de monstres et d’ogres dévoreurs d’enfants. Si la bouche du Prince Charmant réveille la princesse endormie, Chien Bleu, de son souffle, fait naître un feu qui réchauffera la petite fille. Et Charlotte, retrouvant sa maison, évoque par sa posture triomphale le retour du preux chevalier sur sa fidèle monture.

Chien Bleu est un album rare, l’un de ceux que l’on peut raconter encore, et encore, et encore, sans que jamais l’auditeur ne se lasse. Et sa dernière phrase déclenche presque à coup sûr un frisson mêlé de plaisir, d’émotion et de tension apaisée…

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Cet album est sorti en 1989, à l’École des Loisirs (eh oui, Chien Bleu a vingt ans !) Il a déjà enchanté un nombre d’enfants considérable… et c’est loin d’être terminé !
Il est toujours disponible en grand format, et en petit format et petit prix chez Lutin Poche.

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Chien Bleu de Nadja
À l’École des Loisirs


Le Tunnel d’Anthony Browne

Catégorie Incontournables
Littérature Jeunesse -Album-
À partir de 5 ans


Dans la série des incontournables petites merveilles à petit prix, il y a cet album, Le Tunnel.
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Voilà une sœur et un frère qui sont « différents en tous points ».
Elle est calme et rêveuse, et reste le nez dans ses livres la plupart du temps. Il est bagarreur, joueur, actif, bruyant et sans cesse en mouvement.
Rien ne les réunit, tout les sépare. Pas étonnant que les disputes et les chamailleries soient monnaie courante entre ces deux là.

Un matin où leur mère perd patience, ils se retrouvent consignés dehors. Leurs pas les conduisent dans un terrain vague, où un tunnel mystérieux attire le frère. La sœur, désemparée, le voit s’enfoncer à l’intérieur…
Que va-t-elle faire ? Aura-t-elle le courage de le suivre ?

Voilà l’histoire qu’Anthony Browne choisit de raconter ici. Et il y a de multiples choses à en dire !

Les images d’abord.
Très belles, elles ne sont pas des illustrations au sens propre puisqu’elles n’ « illustrent » pas le texte, mais y ajoutent des perceptions, des sensations supplémentaires.
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L’auteur place ses personnages dans un monde véridique, puis fantasmé, avec un glissement fluide, progressif.
On obtient une histoire « onirico-réaliste » (un qualificatif sans doute bizarre, mais Anthony Browne y parvient !) où certaines pages troublent en touchant l’inconscient.

Les images qui montrent la forêt, par exemple sont foisonnantes de détails qui vont toucher juste : feu de bois, maisonnette lointaine, arbre magique, porte irréelle, écorce noueuse tordue faisant apparaître un loup, un sanglier, un monstre…
Le sens du temps est aussi porté par les images : quatre d’entre elles pour entrer dans le monde fantastique, quatre autres pour revenir au monde « normal ». Le décalage s’opère dans un sens, puis dans l’autre.

Anthony Browne n’hésite pas à modifier le cadrage de l’image, en montrant des scènes qui laissent deviner du hors-champ : cette manière de nous emmener avec lui est extrêmement efficace, car nous imaginons le monde autour de ces parties manquantes.

L’expression des visages est magnifiquement rendue !
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Décors léchés, effets de lumière, fantasmagorie, justesse des sentiments exprimés… On se demande ce qui pourrait bien manquer à ces illustrations…

Quant au texte et à la trame, que dire ?

Acceptation de l’autre et de ses différences, chemin vers lui, difficultés du dépassement de soi, imaginaire, peur de l’inconnu qu’il nous faut transcender, affection… Les pistes offertes sont aussi nombreuses que riches de sens !
Ne serait-ce que par l’apparition, dans les toutes dernières lignes, des prénoms de ces deux enfants : ils ne sont plus la « sœur » et « le frère », mais Rose et Jack. Leur expérience commune leur a donné une existence propre.
Nommer l’autre, se nommer soi-même, s’accepter comme on accepte autrui, se grandir, dépasser ses limites pour s’extraire de son nombrilisme, s’ouvrir au monde…
Décidément oui, les tenants et les aboutissants du Tunnel sont si profonds et si complexes que cette humble chronique ne pourrait en faire le tour.
On pensera aussi à faire des rapprochements avec la pétrification de la légende d’Orphée, ou avec le puits dans lequel tombe l’Alice de Lewis Caroll.

Lire Le Tunnel à un enfant est un moment fort. L’inquiétude diffuse, inexprimable, provoquée par la forêt mystérieuse…
Le soulagement lorsque survient le dénouement…
Le silence rêveur qui suit cette lecture… Autant d’émotions rares.

Sans oublier le symbole de la couverture : un livre de contes ouvert, une petite fille qui s’enfonce dans l’inconnu. Au dos du livre, l’ouverture est vide et le livre est refermé. La fillette est-elle entrée dans le tunnel où dans le livre ?
Une manière de dire la force de l’imaginaire…
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Le Tunnel d’Anthony Browne traduit de l’anglais par Isabel Finkenstaedt, © Kaléidoscope 1989
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à L’école des loisirs, collection Lutin Poche

Il ne faut pas habiller les animaux de Judi et Ron Barrett

Catégorie Incontournables Littérature Jeunesse -Album-
À partir de 3 ans
Il ne faut pas habiller les animaux



Pourquoi ? serait tenté de demandé un lecteur d’approximativement trois ans…

Et il aurait raison de poser la question. Heureusement, la réponse est dans cet album :
« Il ne faut pas habiller les animaux… parce que ce serait désastreux pour le porc-épic de porter des vêtements ».

L’illustration de Ron Barrett, également présentée sur la couverture, en témoigne : le tissu d’une fine chemise à pois n’est pas prévu pour résister aux épines !

Judi et Ron Barrett font la preuve en texte et en image que le mouton « aurait trop chaud », équipé d’un pullover, d’un bonnet et d’une écharpe.
Le kangourou « ne saurait qu’en faire ». Étant déjà naturellement équipé d’une poche, celle d’un par-dessus, même munie d’un rabat, lui apparaît comme superflue, évidemment.
Qu’est-ce qui fait qu’Il ne faut pas habiller les animaux est un excellent album ?

Beaucoup de choses en vérité.
D’abord en terme de vocabulaire : si un enfant de trois ans reconnaitra facilement la poule et le cochon, il visualisera aussi dans cet album à quoi peuvent bien ressembler un élan, un morse et un opossum, ainsi que leurs caractéristiques propres (bois majestueux, défenses impressionnantes et… tête en bas !).

La formulation est aussi intéressante. Chaque phrase, en réponse au titre, commence par un « parce que ». Cette structure qui revient comme un refrain donne à l’enfant le plaisir d’anticiper le « parce que » suivant, tout en lui laissant la surprise de la suite qui y est donnée.

Puis, dans la structuration : cet album met bien en évidence l’existence de deux catégories, l’ensemble des humains et celui des animaux. Trier est une activité précieuse pour stimuler l’intelligence chez l’enfant et organiser ses structures mentales. Au cours de sa scolarité, un enfant de maternelle sera amené à trier les couleurs, les objets, les formes, par des exercices renouvelés. L’avantage du « tri » proposé par Il ne faut pas habiller les animaux est d’être une sorte de classement  par l’absurde !
Même si le genre humain n’apparaît qu’à la toute dernière illustration, il est sous-entendu à chaque page, ce qui donne une approche plus fine qu’une démonstration basique. Les deux genres, humains et animaux, sont établis par contraste.
Ensuite dans le rapport texte/image : de nombreux livres proposent des messages redondants, le texte décrivant l’image, ou l’image racontant ce qui est lu. Ce double emploi n’est pas présent dans cet album. Il s’agit ici d’un jeu de pingpong, où l’illustration répond, ajoute et exagère la phrase.
Enfin, avec la présence de l’humour : et quel humour ! Chaque page est une invitation à un sourire différent. Pauvre élan, comme il doit souffrir, tout emmêlé dans ses bretelles ! La poule a un très gros problème, avec ce pantalon qui l’empêche de pondre, et la souris est presque indétectable sous cet immense chapeau à fleurs…
On pourrait penser que cet humour est “méchant”, car peu compassionnel envers les désagréments présentés. On pourrait croire que c’est le ridicule de ces animaux qui provoque le rire…
C’est plus fin que cela : ce qui est ridicule ici, c’est plutôt l’homme et ses propositions vestimentaires inadaptées. Car, finalement, ces animaux savent tout faire ! Ils ont des poches, savent nager, ont chaud naturellement…
Rien n’empêche d’ailleurs de continuer sur la lancée en imaginant d’autres animaux dans d’autres vêtements ! Une piste offerte pour l’imaginaire est l’atout bonus de cet album décidément excellent.
Depuis sa sortie en 1970, Il ne faut pas habiller les animaux a été réédité plusieurs fois, et il est toujours disponible en librairie. Il a sans nul doute fait rire une génération qui se retrouve maintenant du côté des parents. Il y a fort à parier que cet album passera de mains en mains.
Jusqu’à la génération suivante ?
Et pourquoi pas !

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Il ne faut pas habiller les animaux de Judi et Ron Barrett

À l’École des Loisirs

existe aussi en petit format et à petit prix chez lutin poche