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Bih-Bih et le Bouffron-Gouffron de Claude Ponti

-illustrations sous copyright des éditions L’école des Loisirs-


« Bih-Bih et son ami Filifraiïme, le champignon, s’en vont boire un thé au café du fond de la forêt. Ils ne savent pas qu’ils marchent… … sur le dernier petit bout de chemin que le Bouffron-Gouffron va avaler. »

Une belle dose de magie-Ponti pour commencer l’année ? Ouvrir Bih-Bih et le Bouffron-Gouffron, son dernier album grand format qui fait voyager plus loin et encore plus loin ! (peut-être même plus loin que ça)

Une fois encore, l’alchimie entre texte et illustrations est singulière : poétique, drôle, mystérieuse…

Le Bouffron-Gouffron a croqué l’univers tout entier (en ricanant, en plus). Bih-Bih et son fidèle Filifraiïme sont les seuls à savoir comment rendre le monde au monde et ils vont s’y atteler avec beaucoup de courage et de persévérance.


Dans le ventre du Bouffron-Gouffron, c’est un amoncellement de pierres, de forêts, de montagnes, de châteaux, de statues… Tout est sens dessus dessous…

L’occasion pour Claude Ponti d’offrir des images d’une grande richesse (d’où l’utilité du grand format), à lire dans tous les sens, surtout quand la mise en page s’échappe… Les objets ayant changé de taille, le château de Neuschwanstein se fait aussi grand qu’une pomme, pendant que les Cariatides survolent les vestiges du Machu Pichu…

Claude Ponti introduit dans ses pages toute une kyrielle de monuments à découvrir, les mêlant à des rouleaux de parchemins, des gravures japonaises, des vases grecs, des livres… Le monde et son accumulation de merveilles est vivant : il est juste morcelé et la mission de Bih-Bih est de recoller les morceaux entre eux.

Une fois de plus, l’inventivité de l’auteur est là : Claude Ponti n’est jamais binaire, ni réducteur : aussi, son Bouffron-Gouffron est à la fois terrible et ridicule, autant que la quête de Bih-Bih est dangereuse et rassurante.


Le message est universel : les fruits de la connaissance, pommes et poires, seront grignotés dans le paysage luxuriant que Bih-Bih et Filifraiïme doivent traverser. Des reliques de toutes les époques et de tous les endroits de la planète jonchent le sol d’une grotte. Ils constituent tous ensembles les visages colorés, gracieux, primitifs, de jade, de bois ou de granit sculptés par l’Homme. Ils sont tous les visages de l’Humanité et le monde ne pourra pas être réparé sans eux :

« Passez par ici, passez par nous ! Passez-nous par-dessus, passez-nous par-dessous… passer par les oreilles, passez par les yeux, passez par le nez, passez par la langue, passez par les dents, passez par la peau, passez par la nuit, passez par le jour… passez par pendant, passez par après, passez par avant, passez par hier, passez par demain, passez par toujours… mais surtout passez par nous ! »

C’est peut-être la première fois que Claude Ponti inclut autant de constructions réalistes dans ses dessins, mais cela semble accentuer le côté onirique de ces images.

Même si cet album est accessible dès 5 ans, un enfant plus âgé aura l’avantage (et le plaisir) de pouvoir chercher des précisions sur les merveilles archéologiques utilisées. Pour autant, BihBih et le Bouffron-Gouffron n’est pas un simple « petit musée » coloré : avec une histoire vivante, initiatique, il offre une vision large et sensible de notre place au milieu des civilisations sur Terre.

Une seule chose à ajouter, un détail, mais important : Blaise le Poussin Masqué se cache, quelque part, dedans…!


Bih-Bih et le Bouffron-Gouffron de Claude Ponti
A partir de 5 ans
Parution en novembre 2009


Max et les Maximonstres de Maurice Sendak

Catégorie Incontournables Littérature jeunesse
-Album-
À partir de 4 ans

max_et_maximonstres_couvClassique de la Littérature enfantine écrit en 1963, publié par l’École des Loisirs en 1973 et sans cesse réédité depuis, Max et les Maximonstres n’a pas toujours été considéré comme propice à l’épanouissement de jeunes lecteurs. Lors de sa sortie, un libraire a même formulé ce conseil protecteur : ne laissez pas ce livre le soir à portée de main d’un enfant sensible…

C’est vrai que le jeune Max pourrait fort bien être vu comme un perturbateur, celui qui transgresse les règles et s’affranchit de toute culpabilité. Un futur hors-la-loi, en somme.

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Jugez plutôt : Max, costumé en loup blanc, plante des clous dans les murs et poursuit son chien avec une fourchette…
« « Monstre », lui dit sa mère. « Je vais te manger » répondit Max et il se retrouva au lit sans rien avoir mangé du tout. »

Au lieu de promettre d’être plus sage à l’avenir, Max s’évade dans une jungle miraculeusement sortie des murs de sa chambre. Il part rencontrer de terribles monstres, il les domine, devient leur roi. Mais l’envie lui prend « d’être aimé, d’être aimé terriblement ». Il rentre alors chez lui où il trouve son dîner qui l’attend, « tout chaud ».

La désobéissance récompensée ?… Si Max et les Maximonstres a fait l’objet d’un opéra, d’un projet de dessin animé par Disney, d’une  version ballet pour l’American Repertory Ballet, et d’un film (qui sortira en octobre 2009), c’est bien qu’il s’agit d’autre chose et que les enjeux profonds dans cet album touchent l’inconscient.

Tout d’abord, Max n’est pas qu’un enfant : c’est un enfant déguisé en loup. La part d’animalité est là, avec sa violence, son agressivité, son refus des règles. Mais ce loup est « blanc », une sorte de marque de pureté pour ce petit garçon. Il est un terrain vierge, en apprentissage du monde, qui doit apprendre à gérer ses pulsions et ses frustrations.

Face à la punition, il choisit la rêverie, l’imaginaire, et c’est dans ce monde inventé qu’il va régler ses comptes et finir par se dépasser. Créativité et création ne sont pas ici de simples divertissements, mais des moyens d’expression, des outils nécessaires, indispensables même, au voyage intérieur.

Max s’échappe vers une terre lointaine, navigue sur un océan qui gronde (symbole de sa colère d’avoir été puni) et arrive au pays des Maximonstres, des animaux « terribles » non identifiables, faits de crocs, de pattes griffues et de cornes, la bestialité à l’état brut. Il les dompte, les dirige, les utilise pour faire une « fête épouvantable » où il pourra laisser s’exprimer toute sa frustration, se laisser submerger par elle.

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Les illustrations, à ce moment de l’histoire, occupent toute la surface de la page. Fantasmagoriques, elles démontrent il n’y a plus besoin de mots dans cet épanchement extrême.
Une fois purgé, vidé de sa révolte, Max peut se « reprendre » et quitter la rage qui s’est emparée de lui. Il met alors un terme à la fête, contrôle l’incontrôlable et redevient détenteur du « bien », rétablissant l’ordre, édictant les règles que les Maximonstres devront dorénavant respecter.

Il peut maintenant rentrer chez lui en petit garçon calmé, débarrassé de sa frustration destructrice. Il commence même à ôter son costume de loup blanc, preuve qu’il n’a plus besoin d’être « sauvage » et qu’il peut reprendre sa place dans la société, retrouver la rassurante odeur de nourriture et la chaleur d’être aimé.

Max et les Maximonstres est un petit bijou, tant pour le texte et son économie, que pour les illustrations, drôles, inventives, à la symbolique forte, en particulier celle du voyage sur l’océan : Max y navigue en « terre inconnue », mais manie le gouvernail avec confiance. Il est décideur de son chemin comme le montre ce bateau qui porte son nom…

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Une merveille, donc, à déguster à tout âge et à examiner à chaque fois avec une curiosité renouvelée !
À ce propos, le monstre sur la couverture est-il endormi, attristé, fatigué ou se sent-il abandonné ? Chacun choisira une réponse qui lui ressemble…

Max et les Maximonstres de Maurice Sendak



Une soupe au caillou d’Anaïs Vaugelade

Catégorie Incontournable Littérature Jeunesse -Album-
À partir de 4 ans


couv_soupe_au_caillou« C’est la nuit, c’est l’hiver.
Un vi
eux loup s’approche du village des animaux. »

Il suffirait de s’arrêter là un instant pour imaginer toute une ribambelle de possibles : animaux effrayés et dévorés (hypothèse dramatique), animaux rusés qui prendront le loup au piège (hypothèse surprenante), animaux benêts et loup idiot (hypothèse comique)… ?

Et bien sûr, c’est sur une autre piste que va nous emmener Anaïs Vaugelade, avec un loup étrange, loin de la figure habituelle du dévoreur de Chaperon Rouge.

Celui-ci est affamé, c’est vrai, mais sans dents. Il lui est impossible de dévorer ses petits camarades de pages. Il désire juste passer un moment dans l’accueillante maison de la poule, en la faisant profiter de sa recette personnelle de soupe, Une soupe au caillou.

Justement, il a un caillou dans son sac, un gros, bien lourd et bien dodu. Il lui faudrait une marmite et que l’on fasse chauffer de l’eau…

« « Et c’est tout ? » demande la poule.
« Oui, c’est tout ».
« Moi dans mes soupes », dit la poule, « j’ajoute toujours un peu de céleri ».
« On peut, ça donne un goût », dit le loup. »

Les autres animaux du village viennent aux nouvelles, les uns après les autres. Passé la surprise de voir ce loup et ce qu’il veut faire, tous se demandent s’il n’est pas possible d’ajouter un ingrédient à cette soupe curieuse : courgette, poireau, chou… Tout y passe.

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Ils se régalent tous, avec cette soupe miraculeuse qui les a réunis. Ils passent une bonne soirée… jusqu’au moment où le loup sort son couteau pointu (aahhhh !!!)… mais lisez vous-même la fin de cette histoire plutôt… encourageante !

Le texte d’Anaïs Vaugelade n’est pas bêtifiant, loin de là, même si elle s’adresse à de jeunes enfants. Et la trame, par bien des aspects, vaut qu’on s’y attache.

Le loup d’abord : vieillissant, il n’est plus une menace pour personne. Il suffit de passer par-dessus ses préjugés pour s’en apercevoir. C’est un « étranger » dans ce village, mais l’accueillir va apporter beaucoup à tous. L’humanisme à la portée d’enfants de quatre ans…

Car c’est le conte de la solidarité et de la chaleur humaine (…euh…animale, plutôt). Tous vont se dépasser, et rompre leur isolement.

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D’abord en s’inquiétant de la destinée de la poule : seule, chez elle, et avec un loup en plus !
Puis en participant à l’entreprise collective, chacun donnant son grain de sel, ce qui va s’avérer délicieux. Ensemble, on se tient chaud, on a moins faim, on se raconte des blagues, on discute, on apprend à mieux se connaître, on s’ouvre l’esprit.

Et au final, l’astuce du loup pour obtenir à manger n’est pas agressive. En échangeant la convivialité contre un repas, personne ne sera lésé par cette ruse, ce qui n’est pas ordinaire…

Les illustrations sont savoureuses. Les couleurs chaudes, jaune et orange, autour du feu de cheminée, accentuent l’impression de chaleur rassurante, et le contraste est grand avec le paysage hivernal du village, gris et blanc, vu à l’extérieur de la maison. Les animaux, cochon, chien, cheval, canard, sont comiques dans leurs attitudes inquiètes, étonnées ou joyeuses. La poule a du caractère ! Bavarde, curieuse, affairée, c’est un vrai personnage attachant, tout comme le cochon un peu rustre, et le canard légèrement prétentieux. Une belle palette de caractères présentés avec une économie de mots et de dessins.
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S’il y a beaucoup de versions de ce conte philosophique qu’est Une soupe au caillou, celle d’Anaïs Vaugelade possède un charme indéniable, avec son grand loup à la silhouette dégingandé, un peu triste, un peu solitaire, mais empli d’une finesse cachée presque émouvante…

Une soupe au caillou à déguster, sans avoir peur d’en reprendre une louche, encore une louche, et puis une autre !

Une soupe au caillou d’Anaïs Vaugelade
À la Petite bibliothèque de l’École des Loisirs
(petit format, petit prix !)



C’est moi le plus fort de Mario Ramos

Catégorie Incontournable Littérature Jeunesse
-Album-
À partir de 4 ans


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Quand on a quatre ou cinq ans, il y a un objectif terrible que l’on voudrait atteindre : être LE PLUS FORT.

Ça tombe bien : le loup de cet album de Mario Ramos est dans le même état d’esprit. Mieux, il est convaincu, oui, il est persuadé d’être le plus fort.

Pour confirmation – et parce qu’il n’a plus faim – il pose la question à tous ceux qu’il croise.

Un joli petit lapin de garenne le conforte dans ses certitudes :
« « Le plus fort, c’est vous Maître Loup. Incontestablement et sans aucun doute, c’est absolument certain », répond le lapin. »

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Le Petit Chaperon Rouge et, plus tard, les Trois Petits Cochons sont bien d’accord :
« « Le plus fort, le plus costaud, le plus beau, c’est assurément vous, Grand Méchant Loup ! » répondent ensemble les trois petits. »

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Même réponse avec les Sept Nains à qui le Loup pose la question en ces termes :
« Hého ! Les zinzins du boulot, savez-vous qui est le plus fort ? ».

Très fier de lui, sûr d’être invincible, le Loup croise un dernier personnage, minuscule, « une espèce de petit crapaud » :

« « Salut, horrible chose. Je suppose que tu sais qui est le plus fort ? » dit le loup. »

Coup de théâtre ! La réponse de l’espèce de « petit crapaud » n’est pas celle attendue… Et le loup va brutalement se mettre dans une ÉNORME colère…

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...avant de revenir à un peu plus d’humilité, car la chute est sans appel !

C’est moi le plus fort de Mario Ramos est bien un incontournable de la littérature jeunesse : des illustrations efficaces présentent un loup vantard et sûr de lui, agressif, impressionnant. Le contraste avec la petitesse et la délicatesse des personnages rencontrés est encore plus plaisant.

Le texte offre un bel échantillon de vocabulaire et d’expressions qui ne sont pas souvent utilisés dans les albums pour enfants :
« assurément », « incontestablement », « je me sens bien dans ma peau », « je ne m’en lasse pas »…etc.

L’humour est omniprésent (par exemple, face au Petit Chaperon Rouge : « Sais-tu que cette couleur te va à ravir ? Tu es mignonne à croquer… »). En outre, le ridicule du personnage principal se fait de plus en plus évident à mesure que la progression du loup avance.

La forêt de ce loup est remplie de personnages de conte de fée que l’on sera curieux, et heureux, de rencontrer au fil des pages. De quoi se remémorer d’autres histoires, connues de tous, celles que l’on peut raconter mille fois !

Et la morale dit bien que, tout comme il y a toujours un plus petit que soi, il y a aussi toujours un plus fort que soi ! C’est autrement qu’il faut progresser, car la quête du plus puissant est bien vaine… L’occasion de montrer à un petit lecteur qu’il y a autre chose que les rapports de force dans la vie.

Cet album est paru pour la première fois en 2005, et il est toujours disponible (en petit format et à petit prix chez Lutin Poche) : hourra !

Envie d’un bonus ? Les petits secrets de ce livre vous sont révélés sur le site de l’auteur… Mais chut ! Ne dites pas que c’est moi qui vous l’ai dit !

C’est moi le plus fort

de Mario Ramos

À l’École des Loisirs

et dans la collection Lutin Poche



Chien bleu de Nadja

Catégorie Incontournables Littérature Jeunesse -Album-
À partir de 4 ans
Illustrations sous Copyright des éditions L’école des Loisirs

couv_chienbleuFaites de la place sur les étagères ou sur les tables de chevet des petits derniers : Chien Bleu est un incontournable par excellence. Il pourrait être la réponse à la question « Et s’il n’en fallait qu’un ? »…

Des illustrations somptueuses, une histoire prenante, des émotions intenses, voilà le contenu de cet album.

Charlotte est une petite fille solitaire qui vient tout juste de rencontrer un « chien étrange, au pelage bleu, aux yeux verts brillants comme des pierres précieuses ».

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L’enfant et le chien deviennent complices, jusqu’à ce que la maman de Charlotte intervienne :

« Je ne veux pas que tu joues avec ce chien. On ne sait pas d’où il vient, il est peut-être méchant ou malade. De toute façon, je ne veux pas de chien à la maison. »

C’est la séparation, et elle est douloureuse…
Au cours d’un pique-nique, la petite fille se retrouve perdue dans les bois. Il fait sombre. Le décor est effrayant. Une créature s’approche de Charlotte :

« Terrifiée, elle vit une immense silhouette se précipiter sur elle. Lorsque l’animal fut tout près, Charlotte poussa un cri de surprise : c’était Chien Bleu, qui l’avait suivie à la trace et retrouvée dans la forêt ! Elle l’enlaça de toutes ses forces. »

Mais « l’Esprit des bois », transformé en panthère noire, est bien décidé à s’emparer de la proie qui vient d’entrer sur son territoire. « « J’en ferais bien mon dîner », se dit-il en avançant dans la lumière. »

Dès lors, c’est la lutte entre le vaillant Chien Bleu et le monstre de la nuit. Heureusement que l’histoire ne s’arrête pas là !…

Les illustrations pleine-page de Nadja provoquent l’immersion dans la fiction : joliesse de Charlotte, pureté des lignes de Chien Bleu, rigidité de la mère – vue de dos et vêtue de noir – qui s’oppose à l’amitié naissante. La forêt est magnifiquement rendue dans un travail de touches enchevêtrées, jaunes, ocres, brunes et terre de sienne. C’est toute la « patte » de Nadja dans ces gouaches expressives.

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Les thèmes de Chien Bleu sont forts : l’ami imaginaire, les frayeurs nocturnes, l’incompréhension des adultes… Car Chien Bleu est bien plus qu’un chien héroïque.    Il peut être vu comme le symbole de la fiction rassurante : ce chien qui ne ressemble à aucun autre, et qui parle aux seules oreilles de celle qui peut l’entendre, celle qui l’a choisi. C’est la part du rêve qui sauve (qui sauve ici de la solitude, de la peur, de la séparation)… Il peut aussi figurer la transformation affective opérée sur l’être que l’on aime. Un simple chien, le plus commun des chiens, objet d’une si grande affection, ne peut devenir que majestueux et magique. Il est vu avec les « yeux du cœur », il « devient » Chien Bleu, et la vie ordinaire ne l’est plus tout à fait. Elle se trouve transfigurée par les émotions.

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L’idée de la perte (perte dans la nuit, dans le sommeil) est aussi un enjeu, avec cet espace ou les forces primitives, qui s’affrontent dans d’incontrôlables cauchemars, se retrouvent terrassées par la lumière, le réveil, puis le retour vers la protection des siens. Preuve d’amour finale : l’acceptation totale, par ses parents, de tout ce qui constitue Charlotte, ses frayeurs, ses rêves, ainsi que l’attachement qu’elle éprouve pour Chien Bleu.

L’album s’ancre aussi dans une sorte de filiation, avec Charlotte, en robe rouge, portant un panier, comme le fait le Petit Chaperon Rouge. L’Esprit des bois personnalise toute la kyrielle de monstres et d’ogres dévoreurs d’enfants. Si la bouche du Prince Charmant réveille la princesse endormie, Chien Bleu, de son souffle, fait naître un feu qui réchauffera la petite fille. Et Charlotte, retrouvant sa maison, évoque par sa posture triomphale le retour du preux chevalier sur sa fidèle monture.

Chien Bleu est un album rare, l’un de ceux que l’on peut raconter encore, et encore, et encore, sans que jamais l’auditeur ne se lasse. Et sa dernière phrase déclenche presque à coup sûr un frisson mêlé de plaisir, d’émotion et de tension apaisée…

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Cet album est sorti en 1989, à l’École des Loisirs (eh oui, Chien Bleu a vingt ans !) Il a déjà enchanté un nombre d’enfants considérable… et c’est loin d’être terminé !
Il est toujours disponible en grand format, et en petit format et petit prix chez Lutin Poche.

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Chien Bleu de Nadja
À l’École des Loisirs


Le Tunnel d’Anthony Browne

Catégorie Incontournables
Littérature Jeunesse -Album-
À partir de 5 ans


Dans la série des incontournables petites merveilles à petit prix, il y a cet album, Le Tunnel.
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Voilà une sœur et un frère qui sont « différents en tous points ».
Elle est calme et rêveuse, et reste le nez dans ses livres la plupart du temps. Il est bagarreur, joueur, actif, bruyant et sans cesse en mouvement.
Rien ne les réunit, tout les sépare. Pas étonnant que les disputes et les chamailleries soient monnaie courante entre ces deux là.

Un matin où leur mère perd patience, ils se retrouvent consignés dehors. Leurs pas les conduisent dans un terrain vague, où un tunnel mystérieux attire le frère. La sœur, désemparée, le voit s’enfoncer à l’intérieur…
Que va-t-elle faire ? Aura-t-elle le courage de le suivre ?

Voilà l’histoire qu’Anthony Browne choisit de raconter ici. Et il y a de multiples choses à en dire !

Les images d’abord.
Très belles, elles ne sont pas des illustrations au sens propre puisqu’elles n’ « illustrent » pas le texte, mais y ajoutent des perceptions, des sensations supplémentaires.
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L’auteur place ses personnages dans un monde véridique, puis fantasmé, avec un glissement fluide, progressif.
On obtient une histoire « onirico-réaliste » (un qualificatif sans doute bizarre, mais Anthony Browne y parvient !) où certaines pages troublent en touchant l’inconscient.

Les images qui montrent la forêt, par exemple sont foisonnantes de détails qui vont toucher juste : feu de bois, maisonnette lointaine, arbre magique, porte irréelle, écorce noueuse tordue faisant apparaître un loup, un sanglier, un monstre…
Le sens du temps est aussi porté par les images : quatre d’entre elles pour entrer dans le monde fantastique, quatre autres pour revenir au monde « normal ». Le décalage s’opère dans un sens, puis dans l’autre.

Anthony Browne n’hésite pas à modifier le cadrage de l’image, en montrant des scènes qui laissent deviner du hors-champ : cette manière de nous emmener avec lui est extrêmement efficace, car nous imaginons le monde autour de ces parties manquantes.

L’expression des visages est magnifiquement rendue !
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Décors léchés, effets de lumière, fantasmagorie, justesse des sentiments exprimés… On se demande ce qui pourrait bien manquer à ces illustrations…

Quant au texte et à la trame, que dire ?

Acceptation de l’autre et de ses différences, chemin vers lui, difficultés du dépassement de soi, imaginaire, peur de l’inconnu qu’il nous faut transcender, affection… Les pistes offertes sont aussi nombreuses que riches de sens !
Ne serait-ce que par l’apparition, dans les toutes dernières lignes, des prénoms de ces deux enfants : ils ne sont plus la « sœur » et « le frère », mais Rose et Jack. Leur expérience commune leur a donné une existence propre.
Nommer l’autre, se nommer soi-même, s’accepter comme on accepte autrui, se grandir, dépasser ses limites pour s’extraire de son nombrilisme, s’ouvrir au monde…
Décidément oui, les tenants et les aboutissants du Tunnel sont si profonds et si complexes que cette humble chronique ne pourrait en faire le tour.
On pensera aussi à faire des rapprochements avec la pétrification de la légende d’Orphée, ou avec le puits dans lequel tombe l’Alice de Lewis Caroll.

Lire Le Tunnel à un enfant est un moment fort. L’inquiétude diffuse, inexprimable, provoquée par la forêt mystérieuse…
Le soulagement lorsque survient le dénouement…
Le silence rêveur qui suit cette lecture… Autant d’émotions rares.

Sans oublier le symbole de la couverture : un livre de contes ouvert, une petite fille qui s’enfonce dans l’inconnu. Au dos du livre, l’ouverture est vide et le livre est refermé. La fillette est-elle entrée dans le tunnel où dans le livre ?
Une manière de dire la force de l’imaginaire…
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Le Tunnel d’Anthony Browne traduit de l’anglais par Isabel Finkenstaedt, © Kaléidoscope 1989
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à L’école des loisirs, collection Lutin Poche

Il ne faut pas habiller les animaux de Judi et Ron Barrett

Catégorie Incontournables Littérature Jeunesse -Album-
À partir de 3 ans
Il ne faut pas habiller les animaux



Pourquoi ? serait tenté de demandé un lecteur d’approximativement trois ans…

Et il aurait raison de poser la question. Heureusement, la réponse est dans cet album :
« Il ne faut pas habiller les animaux… parce que ce serait désastreux pour le porc-épic de porter des vêtements ».

L’illustration de Ron Barrett, également présentée sur la couverture, en témoigne : le tissu d’une fine chemise à pois n’est pas prévu pour résister aux épines !

Judi et Ron Barrett font la preuve en texte et en image que le mouton « aurait trop chaud », équipé d’un pullover, d’un bonnet et d’une écharpe.
Le kangourou « ne saurait qu’en faire ». Étant déjà naturellement équipé d’une poche, celle d’un par-dessus, même munie d’un rabat, lui apparaît comme superflue, évidemment.
Qu’est-ce qui fait qu’Il ne faut pas habiller les animaux est un excellent album ?

Beaucoup de choses en vérité.
D’abord en terme de vocabulaire : si un enfant de trois ans reconnaitra facilement la poule et le cochon, il visualisera aussi dans cet album à quoi peuvent bien ressembler un élan, un morse et un opossum, ainsi que leurs caractéristiques propres (bois majestueux, défenses impressionnantes et… tête en bas !).

La formulation est aussi intéressante. Chaque phrase, en réponse au titre, commence par un « parce que ». Cette structure qui revient comme un refrain donne à l’enfant le plaisir d’anticiper le « parce que » suivant, tout en lui laissant la surprise de la suite qui y est donnée.

Puis, dans la structuration : cet album met bien en évidence l’existence de deux catégories, l’ensemble des humains et celui des animaux. Trier est une activité précieuse pour stimuler l’intelligence chez l’enfant et organiser ses structures mentales. Au cours de sa scolarité, un enfant de maternelle sera amené à trier les couleurs, les objets, les formes, par des exercices renouvelés. L’avantage du « tri » proposé par Il ne faut pas habiller les animaux est d’être une sorte de classement  par l’absurde !
Même si le genre humain n’apparaît qu’à la toute dernière illustration, il est sous-entendu à chaque page, ce qui donne une approche plus fine qu’une démonstration basique. Les deux genres, humains et animaux, sont établis par contraste.
Ensuite dans le rapport texte/image : de nombreux livres proposent des messages redondants, le texte décrivant l’image, ou l’image racontant ce qui est lu. Ce double emploi n’est pas présent dans cet album. Il s’agit ici d’un jeu de pingpong, où l’illustration répond, ajoute et exagère la phrase.
Enfin, avec la présence de l’humour : et quel humour ! Chaque page est une invitation à un sourire différent. Pauvre élan, comme il doit souffrir, tout emmêlé dans ses bretelles ! La poule a un très gros problème, avec ce pantalon qui l’empêche de pondre, et la souris est presque indétectable sous cet immense chapeau à fleurs…
On pourrait penser que cet humour est “méchant”, car peu compassionnel envers les désagréments présentés. On pourrait croire que c’est le ridicule de ces animaux qui provoque le rire…
C’est plus fin que cela : ce qui est ridicule ici, c’est plutôt l’homme et ses propositions vestimentaires inadaptées. Car, finalement, ces animaux savent tout faire ! Ils ont des poches, savent nager, ont chaud naturellement…
Rien n’empêche d’ailleurs de continuer sur la lancée en imaginant d’autres animaux dans d’autres vêtements ! Une piste offerte pour l’imaginaire est l’atout bonus de cet album décidément excellent.
Depuis sa sortie en 1970, Il ne faut pas habiller les animaux a été réédité plusieurs fois, et il est toujours disponible en librairie. Il a sans nul doute fait rire une génération qui se retrouve maintenant du côté des parents. Il y a fort à parier que cet album passera de mains en mains.
Jusqu’à la génération suivante ?
Et pourquoi pas !

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Il ne faut pas habiller les animaux de Judi et Ron Barrett

À l’École des Loisirs

existe aussi en petit format et à petit prix chez lutin poche


Ailleurs de Moka

Catégorie Littérature jeunesse -Roman-

Parution le 15 janvier 2009

À partir de 12 ans

couv_ailleurs1Elle est grande pour son âge et terriblement énergique.

Ne lui faites pas de remarques désagréables sur la longueur de ses cheveux ou la propreté de son jean, elle serait bien capable de vous envoyer au tapis d’un crochet du gauche.

À part ce détail technique, que l’on peut qualifier de « caractère de cochon », elle est plutôt fréquentable, cette Francès Avalon.

Pardon ! Pas Francès : Frankie ! (le crochet du droit vient d’être évité d’extrême justesse).

Pour la première fois, voilà réunis dans le même volume les trois tomes de ses aventures : Ailleurs, rien n’est tout blanc ou tout noir, Le puits d’amour et À nous la belle vie, que l’on pourrait titrer respectivement : Frankie à Seattle, Frankie à Saint-Tropez et Les tribulations de Frankie entre Las Vegas et Chicago.

Avec cette jeune héroïne, l’ennui n’a pas sa place. Où qu’elle se trouve, les événements s’accélèrent. Émeutes, incendies, vols à la tire, elle n’a pas son pareil pour localiser les problèmes et se faire rattraper par eux.

Il faut dire qu’avec sa manière spontanée d’aborder ceux qui la croisent, sa façon de prendre partie, de s’exprimer sans fard et d’entrer de plain-pied dans le quotidien des autochtones, il ne peut en être autrement. Ce n’est pas elle qui raserait les murs pour obtenir le Prix Nobel de la discrétion. Elle ne concourra pas non plus pour devenir Miss État de Washington ou Miss Côte d’Azur : elle laisse cela à sa grande sœur Constance, celle qui passe des heures à se pomponner dans la salle de bain avant d’en sortir pour tomber amoureuse du premier joli garçon qui passe.

Des parents séparés et absents, une saine colère devant les injustices, une langue bien pendue – au mépris de sa propre sécurité – voilà les ingrédients qui font de Frankie Avalon une héroïne charismatique.

Le style est enlevé et la lecture facile. Frankie est la narratrice, et elle ne se prive pas de commenter ce qui lui arrive :

« Abo me présenta son petit frère Michael et sa mère. Une femme très accueillante qui m’offrit des cookies et du lait et me posa quarante mille questions. Quand je lui ai dit que j’étais française, elle me demanda comment allait la reine. Les Américains croient que la capitale de la France, c’est Londres et ils ne sont pas sûrs qu’on ait l’électricité. »

elvire-murailMoka, de son vrai nom Elvire Murail, connaît bien son affaire : avec une soixantaine de romans pour la jeunesse à son actif, elle sait parfaitement mettre en place une intrigue, qu’elle soit policière ou fantastique. La trilogie Frankie Avalon a le mérite de permettre la (re)lecture de Ailleurs, rien n’est tout blanc ou tout noir (paru en 1991) et de À nous la belle vie (sorti en 1994), deux titres épuisés dans leur édition d’origine. Ces trois histoires, qui se suivent chronologiquement, touchent des thèmes importants : le racisme, les feux de forêts, et l’exploitation de la pauvreté.

À chaque fois, Moka apporte réponses et connaissances, et les lecteurs peuvent sortir de ces livres plus savants qu’ils n’y sont entrés. En unissant au plaisir de la narration ce socle pédagogique, l’auteure donne à ses romans une belle légitimité.

Un bémol cependant : à la fin du dernier tome, nous laissons Frankie face à un avenir tout tracé, qui ne semble que moyennement correspondre à sa nature profonde, indépendante et rebelle. Un happy end qui laisse un peu sceptique, et qui aurait mérité d’être exploré à travers, pourquoi pas, une aventure supplémentaire de la jeune fille ?

Car après tout, elle n’a que seize ans et toute la vie devant elle…

Ailleurs de Moka

À l’École des Loisirs



Catalogue de parents pour les enfants qui veulent en changer de Claude Ponti

Catégorie Littérature Jeunesse -Album-

Parution le 14 novembre 2008

À partir de 5 ans

couv_catalogue_parents1Préparez-vous à foncer page quarante-cinq pour remplir le bon de commande de ce catalogue d’échanges (et non pas de vente) par correspondance :

« Tes parents sont lourds, fatigants, avares, collants, velus, piquants, casse-pieds, glissants ?

CHANGE ! »

Et c’est qu’il y a du choix !

La Maison Ponti propose trente-cinq sortes de parents disponibles (et livrables avec accessoires !) dans ces pages grand format (39 x 27 cm) toutes en couleurs. Et vous serez livrés en moins de

« quarante tuiteures ».

Cette « collection automne/hiver/printemps/été » est magique : ils sont tous là, les parents « têtenlères », « les toucartons », « les ravis » et même « les très méchants » avec leur « caractère rifiant » et leur sourire « grincimordant ».

Chacun d’eux, en plus d’un texte descriptif (à la sauce Ponti), s’accompagne d’un lot d’accessoires aussi utiles et indispensables que, par exemple, « une paire de lunettes-télescope avec radar de poursuite » pour les « parents minuscules » ou un « allongeur de courte-échelle » pour parents « très géants », ainsi que d’une prescription nette des enfants auxquels ce « produit » s’adresse : « les triiiistes » sont idéaux pour un « enfant aquatique » et « les discrets » conviendront parfaitement à un « enfant sensible au bruit ».

parents_ponti_deux1Que les parents des lecteurs du Catalogue de parents pour les enfants qui veulent en changer se rassurent : ceux qui seront échangés contre un ou plusieurs des trente-cinq articles de ce catalogue seront choyés et aussitôt emmenés dans une « Somptuluxueuse Résidence » spécialement aménagée pour eux. Et leur progéniture les retrouvera, dès qu’elle le désirera, « intacts et reposés » toujours en moins de « quarante tuiteures » (ce qui est quand même très rapide). Alors que demander de plus ?

De la fantaisie et de l’inventivité sont au programme, tant dans le texte que dans les illustrations. Les habitués de l’univers de Claude Ponti reconnaîtront, dans quelques clins d’œil visuels et complices, des planches extraites du Tournemire ou du Chien invisible.

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Pour les autres, ceux qui ne savent pas, ceux qui ne connaissent rien de la magie de Ponti, laissez-vous faire. Un album de ce maître de la Littérature Jeunesse est toujours une joie, et c’est au fil des lectures et des relectures que le plaisir s’installe. Il est bon de se perdre dans la richesse foisonnante des illustrations, d’y découvrir un détail passé inaperçu, de rebondir sur la drôlerie et la justesse d’un mot réinventé. Avez-vous les oreilles peurilleuses ? Pleurniflageolez-vous de temps à autre ? Oh, comme c’est triste…

Ponti est grand faiseur de rêves qui joue avec les émotions et l’imaginaire en passant par des cases inconscientes que nous n’osions pas explorer. Il y a des parents « enveloppants » qui conviennent « à un enfant à grande capacité respiratoire et qui adore être compressouillé d’amour ». Leurs tentacules sont très jolies mais un peu gluantes (avis aux parents trop protecteurs). Les parents « compliqués » eux, sont « agréables car ils ne s’occupent que d’eux-mêmes, et désagréables car ils ne s’occupent que d’eux-mêmes », sans compter qu’ils ont toujours raison (avis aux parents butés et égocentriques).

La dernière cuvée « Pontiesque » est un grand cru !

Cet auteur prolifique – il a publié une soixantaine d’albums depuis 1986 – se renouvelle sans cesse. Humour, originalité, poésie et imagination s’entrechoquent avec génie dans ses créations.

parents_ponti_un1Une conclusion s’impose : Claude Ponti est bien plus qu’un « artiste du genre ».

C’est un artiste, tout simplement.

Catalogue de parents pour les enfants qui veulent en changer de Claude Ponti

Aux éditions de l’École des Loisirs